Dans l'agenda serré du président Macron, outre la visite de soldats français basés dans le camp militaire d'al-Oudeidh d'où sont pilotées les frappes contre l'Organisation État islamique, une rencontre au sommet était prévue avec l'émir Tamim. Les deux chefs d'État ont discuté de nombreux sujets dont les plus important sont la lutte contre le terrorisme et son financement, le renforcement des relations bilatérales ainsi que l'impérieuse nécessité d'aboutir à un apaisement des tensions qui déchirent le Moyen-Orient. La visite du locataire de l’Élysée s’est déroulée en effet dans un moment particulièrement tendu suite à la mort de l'ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh qui plonge le pays, déjà terriblement meurtri par une guerre d’un autre âge, dans une période de fortes incertitudes. Surtout, elle est intervenue au lendemain de la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. Sur ce dernier point qui domine l'actualité régionale et polarise les attentions, la France et le Qatar sont sur la même longueur d'onde. Hier, Emmanuel Macron a dit regretter la décision du président américain ce qui rejoint la position du Qatar qui, depuis plusieurs jours, met en garde Washington des graves conséquences d’une telle option.
Sur le dossier du terrorisme, les deux pays se sont engagés dans la mise en place d'une plate-forme qui rassemblera les efforts dans le contrôle des flux financiers et la lutte contre l'idéologie qui nourrit le sectarisme. Doha avait déjà signé l'été dernier un accord de ce type avec l'administration américaine. Du côté qatari, ce partenariat est central puisqu'il renforcera son image d'acteur résolu à lutter contre toutes les formes du terrorisme dans un contexte où l’accusation le présentant comme un acteur ambigu sur ce dossier est régulièrement lancée contre lui.
Sur le plan de la crise qui secoue les pays du Golfe, la position de la France était attendue. Déjà, au mois de septembre, la déclaration de l'Élysée appelant à la levée de l'embargo était le signe que Paris désapprouvait l'attitude des pays du Quartet (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn, Égypte). Du fait de l'enlisement d'une situation qui n'a manifestement pas abouti à ses objectifs (le Qatar, loin de se plier, a même renforcé ses alliances dans la région notamment avec la Turquie et l'Iran), l’Élysée peut profiter de la lassitude qui semble s'emparer de Riyad pour jouer à fond son rôle de médiateur. Même si l'intransigeance reste apparemment de rigueur, particulièrement chez les dirigeants des Émirats arabes unis, il n'en demeure pas moins que quelques signes récents ont démontré que l'Arabie Saoudite considérait la crise avec le Qatar comme étant désormais mineure et secondaire. En dépit du relatif échec du sommet du Conseil de Coopération du Golfe tenu mardi au Koweït, le simple fait d’avoir vu le Qatar assis dans une même table avec ses voisins, chose qui ne s'était pas réalisée depuis six mois, est en soi un indice d'une première détente. Du fait de cette nouvelle fenêtre qui s'ouvre et de la montée des périls qui pousse les protagonistes à revoir leurs priorités, la France a de tout évidence une opportunité à saisir pour amener les divers acteurs à s'asseoir autour d'une même table en vue d'une solution négociée. C’est certainement dans cette disposition que la diplomatie française se projette désormais avec, en toile de fond, une amélioration de la relation avec l’Iran où le président français est attendu dans un futur proche.
Enfin, Emmanuel Macron a naturellement eu en tête l'intérêt des entreprises françaises et c’est peu dire si son déplacement a été particulièrement fructueux. Accompagné de nombreux PDG du Cac 40, l'objectif de son voyage était aussi de décrocher un maximum de contrats et il faut dire que la recette a été au niveau des espérances. Si le contrat de l'exploitation du métro de Doha estimé à trois milliards de dollars a été acquis au consortium mis en place avec la RATP, le doute qui planait sur la signature du nouveau contrat pour les Rafale a été levé. En présence des deux chefs d’État, Eric Trapier, DG de Dassault Aviation a paraphé l’accord pour 12 nouveaux Rafale, ce qui porte à 36 le nombre total d’exemplaires de l’avion français vendu à l’émirat gazier pour un montant global de 8 milliards de dollars. Dans un contexte où la crise du blocus a augmenté le besoin de sécurité des pays de la zone, le Qatar s’est aussi engagé dans une lettre d’intention pour l’acquisition de 490 véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) de Nexter pour un montant avoisinant les deux milliards de dollars. Sur le volet de l’aviation civile, Doha a confirmé une commande précédente de 50 airbus mais en optant pour une version améliorée de l’A321 Néo en lieu et place des A320 initiaux. En tout, pour une visite ne durant que quelques heures, le président français a conclu pour plus de 11 milliards d’euros de commande. Un véritable Noël avant l’heure.
Tribune initialement publiée sur le site de Middle East Eye.