Crimes de guerre au Yemen
Du 6 au 9 mars, Mohamed ben Salman (MbS) était en effet en visite officielle au Royaume-Uni dans le double objectif de soigner sa carrure de chef d’Etat et renforcer le partenariat stratégique avec la Grande-Bretagne. Allié privilégié de Riyad depuis des décennies, Londres est considérée comme le deuxième partenaire stratégique du royaume wahhabite, certes derrière les Etats-Unis mais devant la France.
Le problème pour le régent saoudien est que sa visite a rapidement déraillé. En cause d’abord, la coûteuse guerre au Yémen qu’il a personnellement contribuée à lancer en mars 2015. Trois ans après le déclenchement de « Tempête décisive », le bilan de l’opération est pour le moins catastrophique. Non seulement, l’armée saoudienne n’est pas arrivée à mater la rébellion houthie qu’elle considère comme le bras armé de l’Iran dans la Péninsule arabique, mais en plus ces mêmes rebelles ont fait preuve d’une résilience stupéfiante.
A plusieurs reprises, ils ont réussi à lancer des missiles balistiques jusque dans les environs de Riyad tout en infligeant de lourdes pertes à une armée saoudienne qui a alors perdu beaucoup de son éclat et de son crédit. Sans parler du coût financier de cette guerre qui plombe les finances de Riyad. Chaque mois, ce sont des centaines de millions de dollars (voire quelques milliards pour les estimations les plus alarmantes) qui sont dilapidées alors que les finances publiques sont dans le rouge et que la grogne sociale ne fait qu’enfler dans un pays où le chômage des jeunes est endémique.
Opposition britannique
Mais c’est certainement dans le domaine humanitaire que le royaume a le plus perdu. Aux plus de 10 000 morts s’ajoutent blessés et réfugiés qui se comptent désormais par millions. Du fait de la situation terrible en terme d’approvisionnement de denrées alimentaires et de la décrépitude des services publics qui sont en lambeaux, des épidémies comme celles du choléra ont refait surface. Ravageuses, ces maladies conjuguées à la famine, la faim et la soif ont tellement alerté les acteurs humanitaires que l’ONU a récemment qualifié la situation au Yémen de la pire crise humanitaire du moment.
C’est donc d’abord pour ces raisons liées au fiasco de sa campagne yéménite que la visite de MbS a largement été compromise. De nombreux acteurs travaillant dans le domaine des droits de l’homme n’ont pas hésité à multiplier les manifestations, tribunes et autres rassemblements symboliques pour dénoncer la présence « d’un criminel de guerre ». Ces critiques ont même été relayées jusqu’au palais de Westminster, siège du parlement britannique.
La diplomatie du grand écart
Dix-sept députés ont en effet publié une tribune demandant au gouvernement de cesser la vente d’armes à l’Arabie Saoudite du fait de ses violations des droits de l’homme tandis que Jeremy Corbin, leader du parti travailliste, n’a pas hésité à dénoncer les errements de la politique de Theresa May. Pour le chef de l’opposition, le souhait de la Première dame de compenser les coûteuses conséquences du Brexit par l’établissement de relations privilégiées avec la puissance pétrolière saoudienne ne doit pas se faire au détriment des valeurs du pays.
Car c’est effectivement à ce niveau que se joue l’une des raisons inavouées de cette visite. Pour la Grande-Bretagne en effet, il s’agit de capter une part des juteux investissements que les autorités saoudiennes s’apprêtent à réaliser. Déjà, le consortium européen qui fabrique l’avion de chasse Eurofighter et auprès duquel le groupe britannique BAE System détient une grande part s’est félicité du protocole d’accord paraphé avec Riyad. Signé au moment où MbS était à Londres, cette lettre d’intention en vue de la vente de 48 appareils porte sur une transaction s’élevant à près de 10 milliards de dollars.
Mais c’est surtout la discrète discussion sur l’ouverture prochaine du capital de l’ARAMCO, la toute-puissante compagnie pétrolière nationale, qui a été l’un des enjeux majeurs de cette visite. Dans sa stratégie « Vision 2030 », MbS et ses conseillers ont en effet comme projet d’accentuer le virage libéral de leur économie via une accélération des privatisations. Dans ce contexte, l’ouverture du capital du mastodonte saoudien devrait dégager la bagatelle de 2000 milliards de dollars...
Prévue pour la fin de l’année ou le début de l’année 2019, l’un des derniers points qui reste à trancher concerne la place boursière où l’ARAMCO sera cotée. Du côté britannique, nul doute que tout a été fait pour convaincre le riche hôte de choisir Londres plutôt que New-York, ville où il doit d’ailleurs se rendre prochainement dans le cadre d’une vaste tournée Outre-Atlantique. Avec l’accueil qu’il lui a été réservé, pas sûr que le régent saoudien garde un bon souvenir du climat londonien dans lequel il a allègrement été hué.