Zidane et Damien Hirst : l’art, nouveau levier du Soft power du Qatar

lundi, 14 octobre 2013 21:41

zidane leader

Ces derniers jours, les opérations artistiques d'envergure se sont multipliées au Qatar. Jeudi 3 octobre, l'émirat dévoilait au public l'impressionnante statue de cinq mètres représentant le "coup de tête" asséné par Zinedine Zidane sur la poitrine du joueur italien Marco Materrazzi lors de la finale du Mondial de 2006. Œuvre du sculpteur d’origine algérienne Adel Abdessemed, la figure trône désormais sur le front de mer de Doha, au cœur de la Corniche[1].

 

Quelques jours plus tard, c'est le controversé artiste britannique Damien Hirst qui inaugurait une série de quatorze sculptures monumentales en périphérie de la ville. Ornant le parvis du centre médical Sidra, cette exposition qui arborera sa forme définitive en janvier 2014 est intitulé "Le voyage miraculeux". Représentant le cycle de la vie, elle énumère les différentes phases du vivant, de la conception à la naissance [2].

 

On pourrait s'étonner à juste titre de cette inflation de représentations humaines dans un pays traditionnellement accusé d'être une terre de puritanisme religieux voire de wahhabisme. En réalité, cette intense activité artistique donne la mesure de l’engagement de l’émirat sur le terrain culturel comme elle indique l'hétérogénéité des postures religieuses à l'égard des représentations artistiques. Plusieurs facteurs d'explication sont ici à mettre en évidence : 

 

1 - sous la houlette de la sœur de l'émir, Cheikha Al Mayassa bint Hamad Al-Thani, le Qatar a entrepris ces dernières années, une vaste offensive de charme destinée à fixer dans l'émirat le maximum d'activités artistiques. En 2011, l’émirat était ainsi devenu le premier pays importateur de biens culturels et avait fait des États-Unis sa principale terre de mission. Faisant le bilan de cet engouement, le magazine The Art Newspaper avait qualifié le Qatar de « plus gros acheteur d'art de la planète ». La même année, le mensuel Art & Auction, désignait la princesse Al Mayassa comme la personnalité la plus influente du monde de l'art[3]. En quelques années, près de 500 millions de dollars ont été dépensés et tout indique que la volonté d’émerger comme un des acteurs les plus dynamiques du marché demeure une priorité. En juillet dernier, le New York Times consacrait une enquête sur ce nouvel appétit du Qatar en relevant l’influence grandissante de l’émirat sur ce secteur[4].

 

2 - les médias, notamment avec Al Jazeera, et le sport sont perçus aux yeux des autorités de Doha comme les vecteurs majeurs de leur Soft power. Dans l'optique de renforcer sa capacité d'attraction, le Qatar veut ajouter la corde de la promotion cultuelle à son arc diplomatique. Le but est de poursuivre la valorisation de l’image du pays à l'échelle internationale. Cet objectif prend aujourd’hui encore plus de relief du fait de la forte résonnance des récents déboires de l’émirat, notamment sur les sujets en lien avec le Mondial 2022. Ce souci de visibilité symbolique est également doublé d'un calcul économique car le pays ambitionne de parvenir, à l'horizon 2030, à un stade où la part des hydrocarbures représentera moins de la moitié de la richesse nationale. Avec l'industrie du sport et l'économie de la connaissance, le secteur du tourisme constitue un élément essentiel de ce projet de diversification économique. Les différentes expositions artistiques sont donc à la fois motivées par l’idée de cultiver la réputation du pays comme un passage incontournable de la carte mondiale de l’art, et pour donner un coup d’accélérateur au secteur du tourisme qui peine à démarrer du fait de la rude concurrence de l’émirat voisin de Dubaï.  

 

3 - enfin, ces différentes expressions de l'art dans l'espace public qatarien traduit la volonté de la famille royale de bâtir un islam qui tourne le dos à l'image sulfureuse d’une société réfractaire à toute manifestation culturelle. Sur ce registre, il faut dire que le Qatar a multiplié les initiatives afin d'apparaître comme un îlot d'ouverture dans un paysage régional qui reste marqué par le rigorisme religieux. L'acte de naissance de cette politique remonte à 2008 avec l'inauguration de l'imposant  Musée des arts islamiques de Doha. Son inauguration avait d’ailleurs bénéficié de la visite de plusieurs figures mondiales de l'art. Depuis, l'engouement du pays n’a fait que s’amplifier et l’année 2010 marquée par les festivités consécutives à la célébration de "Doha Arab Capital of Culture" a été l’occasion d’une mise en valeur d’autres chantiers culturels. A la manœuvre depuis plusieurs années, Cheikha Al Mayassa qui est également la patronne de l’Autorité des musées du Qatar, souhaite amplifier le phénomène.

 

Cependant, l’équilibre reste précaire. Car malgré le vœu régulièrement répété par les autorités de faire la jonction entre valeurs traditionnelles et ouverture vers la modernité, une partie de la société qatarienne ne voit pas nécessairement d’un bon œil ce nouveau virage. L’un des grands défis du Qatar sera de trouver la formule de légitimité qui permettra de répondre sereinement aux questionnements identitaires que révèle cet activisme.

 


http://dohanews.co/qma-installs-five-meter-zidane-head-butt-statue-on/
http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/10/09/les-foetus-geants-damian-hirst-qatar-les-millions-soft-power-246466
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/06/le-qatar-cezanne-et-les-250-millions-de-dollars_1639373_3246.html
http://www.nytimes.com/2013/07/23/arts/design/qatar-uses-its-riches-to-buy-art-treasures.html?pagewanted=all&_r=0

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