Inscrit en littérature arabe dans une université de la capitale égyptienne, il ne se doute pas que les quelques minutes postés sur Youtube finiront par l’envoyer au bagne. Emporté par la vague du Printemps arabe qui galvanise les peuples du Maroc au Bahreïn, Ibn al-Dhib chante les louanges de ces révoltes et rend hommage à la révolution du Jasmin qui a provoqué la chute de Ben Ali. Dans son envolée lyrique qui a d’ailleurs pour titre « Poème de jasmin », l’amoureux de Rimbaud glisse « nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive ». L’allusion est à peine voilée et vise le régime autoritaire des Al Thani, dynastie qui préside aux destinées du Qatar depuis la fin du XIXe siècle.
De retour à Doha, la justice se saisit de l’affaire. Le 29 novembre 2012, douze mois après son arrestation, Ibn al-Dhib comparaît sous trois chefs d’inculpation : incitation au renversement du régime, diffamation du prince héritier Tamim bin Hamad Al-Thani (qui depuis est devenu émir en juin 2013) et atteinte à la constitution. La peine est particulièrement lourde puisque le tribunal prononce la réclusion à perpétuité. L’appel, survenu en février 2013, réduit la sentence à quinze années de prison. C’est cet arrêt que vient de confirmer la Cour de cassation.
Procès contesté
Depuis le début de l’instruction, l’avocat du plaignant, Me Néjib Al-Naïmi fustige la manière avec laquelle son client a été traité. Les manquements à la procédure n’ont visiblement pas manqué : audiences secrètes, faux témoignages, juges compromis et composition du tribunal contraire au code de procédure pénal. Malgré ses nombreuses réclamations, Me Al-Naïmi qui n’est autre que l’ancien ministre de la Justice du Qatar et un des avocats ayant défendu Saddam Hussein, voit ses demandes de libération rejetées. Du côté de l’accusation, on insiste sur le fait que le poète s’est comporté de manière arrogante et a même rejeté l’autorité du président du tribunal au motif que ce dernier était noir et Soudanais.
L’avocat d’Ibn al-Dhib a rejeté ces allégations et s’est confié au site Doha News en se livrant à une critique acerbe du jugement[1]. Déplorant « qu’il n’y a pas de justice » et que « notre système judicaire n’inspire pas la confiance », il a précisé que l’unique porte de sortie serait désormais une grâce de l’émir en ajoutant que cette requête devait être formulée par la famille de son client et non par les avocats Ses condamnations ont été rejointes par la désapprobation exprimée par diverses ONG de défense des droits de l’homme dont Amnesty international et Human rights watch.
Un jugement qui arrive au mauvais moment
Outre le caractère rétrograde du jugement, le verdict tombe à un moment particulièrement critique pour le Qatar. Déjà dans l’œil du cyclone à cause des différentes polémiques relatives au Mondial 2022, le pays se voit de nouveau montré du doigt dans une affaire où il fait preuve de graves manquements à la liberté d’expression. Même si dans l’émirat, la couverture du procès s’est faite de manière relativement libre (plusieurs journaux locaux en ligne ainsi que la chaîne Al Jazeera ont traité l’affaire sans censure) il n’en demeure pas moins que le signal envoyé à l’étranger est celui d’un Etat aux pratiques liberticides. De même, la contradiction est grande entre la promotion du Printemps arabe à l’extérieur et le musèlement de toute expression protestataire à l’intérieur. Pour certains, ce jugement est incompréhensible car il va à rebours de cette image d’Etat moderne et libéral que souhaite entretenir les autorités de Doha, notamment à destination des opinions occidentales.
Néanmoins, l’une des clés de compréhension du verdict réside peut-être dans les dynamiques internes qui traversent l’appareil d’Etat qatarien. Le verdict d’aujourd’hui peut aussi être interprété comme un exemple afin de prévenir toute velléité de contestation d’un régime qui, même s’il n’a pas eu – contrairement à ses voisins bahreïni et saoudien – à faire face à des mobilisations populaires pourrait un jour être la cible d’un mouvement de contestation. En ce sens, la volonté de faire apparaître le Qatar sous les oripeaux d’un pays attaché aux valeurs humanistes ne doit pas se faire au détriment d’un certains nombre de lignes rouges. La sacralité de la famille de l’émir tout comme la confiscation du pouvoir par la dynastie Al-Thani en font partie.
[1] http://dohanews.co/appeals-court-rules-against-qatari-poet-upholding-15-year-jail-term/