Politisation du Hadj
Deux mois plus tard et alors que Doha semble prête à résister à cet embargo pendant encore longtemps, un autre aspect du conflit éclate et assombrit les perspectives d'une sortie de crise. Terre des lieux saints de La Mecque et Médine, l’Arabie Saoudite s’apprête en effet à accueillir des centaines de milliers de pèlerins à l’occasion de la saison du Hadj ou « grand pèlerinage » qui doit débuter fin août. Chaque année, des dizaines de milliers de résidents ou nationaux des pays du Golfe s’y rendent. La particularité pour les citoyens des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) est, qu’à l’instar des Saoudiens et qu’à la différence de toutes les autres nationalités dans le monde, ils peuvent se rendre dans les lieux saints sans avoir à passer par la lourde procédure d’obtention du visa.
Ces derniers jours pourtant, l’affaire du Hadj a pris une tournure diplomatique puisque les autorités du Qatar se sont désolées du fait que, compte tenu de la situation critique entre les deux pays, les « conditions sécuritaires n’étaient pas réunies pour assurer la sécurité des pèlerins qataris ». La conséquence de cet état de fait est que, pour la première fois de son histoire, le Qatar ne pourra envoyer de délégation alors que chaque année, ce sont près de 20 000 personnes qui s'y rendaient depuis l'émirat. Cet événement est particulièrement rare pour un pays musulman car l’Arabie Saoudite n’avait par le passé jamais fermé ses portes aux pèlerins de pays avec lesquels elle était politiquement en conflit. Même l’Iran, pourtant considéré comme le principal rival de Riyad dans la région et dont le ministre saoudien des Affaires étrangères vient encore de fustiger en des termes très fermes la politique, n’a pas fait l’objet de telles mesures de rétorsion.
« Déclaration de guerre »
Pour se défendre, les autorités qataries expliquent que, du fait de la fermeture de la frontière, toutes les liaisons qui passaient par voie terrestre sont désormais condamnées. Cette impossibilité disqualifie d’office les résidents provenant du Qatar et qui pouvaient s’offrir un pèlerinage à moindre coût. C’est le cas notamment de milliers d’expatriés provenant des pays arabes (Égyptiens, Soudanais, Maghrébins, etc) ou ceux provenant du sous-continent indien et qui, du fait du tarif élevé du déplacement en avion, privilégiaient les transports en bus.
Pour les plus fortunés, le voyage se corse également puisque Qatar Airways n’est pas autorisée à survoler l’espace aérien saoudien. Et quand bien même les plus téméraires souhaiteraient faire une escale en passant par Oman ou Koweït, l’accomplissement du Hadj relèverait de la mission quasi impossible étant donné la fermeture du consulat qatari à Jeddah. Sans pouvoir contacter les autorités de leur pays en cas de problème, les pèlerins seraient donc livrés à eux-mêmes, ce qui démotive même les plus enthousiastes. L’autre difficulté réside dans le fait que les bureaux de change et les banques saoudiennes refusent de changer la monnaie qatarie ce qui accentue la difficulté d’un tel déplacement d'autant que l'expérience amère d'un citoyen qatari à qui on a refusé pendant le Ramadan d'accomplir la 'Omra (petit pèlerinage) et dont l'histoire avait fait le tour des réseaux sociaux reste dans toutes les mémoires.
Saisine du Rapporteur de l'ONU sur la liberté de religion
Beaucoup au Qatar se désolent de cette situation. Sur Twitter, de nombreuses personnes ont dénoncé cette instrumentalisation politique du Hadj de la part des autorités saoudiennes. Déjà, au début de la crise, Riyad avait utilisé la carte des visas pour faire pression sur certains pays africains afin de les contraindre à rompre avec le Qatar. Ces dernières heures, la tension est encore montée d’un cran car Riyad a considéré comme « une déclaration de guerre » les propos qu’auraient tenu des responsables qataris demandant que les lieux saints de l’islam soient gérés par une entité indépendante, à la manière du Vatican pour l’Eglise catholique. Réfuté par le ministre des Affaires étrangères du Qatar qui nie que pareille déclaration ait été le fait d’un officiel de son pays, cette nouvelle "intox" entre dans le cadre des multiples opérations de falsification orchestrées par les adversaires du Qatar. Ceci étant, Doha tient quand même à faire valoir ses droits. Le Comité national des droits de l'homme du Qatar a ainsi saisi le Rapporteur des Nations unis sur la liberté de religion pour lui exprimer ses inquiétudes et sa désapprobation de voir le Hadj être pris en otage au profit d'un agenda politique.