Une évolution constante
Il faut dire que le Qatar n’avait pas le choix car depuis le retentissant reportage du Guardian paru en 2013 qui faisait état de la triste réalité de milliers de travailleurs népalais (dont certains trouvaient la mort du fait des dramatiques conditions de vie), Doha a pris la mesure de l’enjeu. Face à la pression internationale, le pays a ouvert ses camps à la presse mondiale et surtout, pris une série de mesures législatives et logistiques de sorte à éviter un procès permanent qui risquerait de porter un coup fatal à sa réputation dans l’optique du Mondial 2022.
Progressivement, le socle législatif sur lequel était basé le système tant décrié de la « Kafala » (sponsorship) a progressivement été dépouillé de ses éléments les plus intransigeants. Dans le même temps, Doha construisait des énormes camps où des dizaines de milliers de travailleurs pouvaient bénéficier d’un cadre de vie moderne et strictement conforme au cahier des charges du Bureau international du travail (BIT).
Ces derniers temps, sentant l’enjeu de la Coupe du monde arriver à grands pas, le Qatar semble avoir décidé d’accélérer son virage libéral. Déjà, en octobre dernier, le pays avait signé un accord avec l’Organisation internationale du travail (OIT) après que les autorités avaient accepté un ensemble de réformes du code du travail comprenant l'introduction d'un salaire minimum et une procédure de règlement des conflits dans les entreprises.
Une nouvelle ère pour les travailleurs
Ce lundi 30 avril, l’organisation internationale s’est félicitée dans un communiqué de l’ouverture de son bureau à Doha précisant que son inauguration avait vu la présence « du ministre du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales du Qatar, Issa Saad al-Jafali al-Nuaimi, du Directeur général adjoint de l’OIT pour les opérations extérieures et les partenariats, Moussa Oumarou, de la Directrice régionale de l’OIT pour les Etats arabes, Ruba Jaradat, de la Secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, Sharan Burrow ».
Preuve de la profondeur des relations entre les deux parties, l’OIT a précisé la nature de la nouvelle collaboration qui s’annonce. En témoignent ces dispositions inscrites dans le communiqué : « l’établissement du bureau fait suite à une décision prise par le Conseil d’administration de l’OIT en novembre 2017 approuvant un Programme de coopération technique pour l’Etat du Qatar. Cette décision reflète l’engagement partagé du gouvernement du Qatar et de l’OIT de coopérer sur les questions relatives au travail pendant la période 2018-2020. Le programme de coopération s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement qatari pour réaliser de nombreuses réformes de la législation et de la réglementation relatives à l’emploi, ainsi que pour fournir des garanties supplémentaires qui promeuvent et protègent les droits des travailleurs. »
Les autorités de l’émirat n’ont pas caché leur satisfaction de voir ce partenariat porter ses fruits. « Aujourd’hui est un jour spécial pour l’Etat du Qatar et pour notre amitié avec l’OIT », a ainsi déclaré le ministre al-Nuaimi tout en ajoutant que « nous nous réjouissons de l’ouverture du bureau et réaffirmons notre engagement en faveur de la mise en œuvre de ce programme global qui est en totale conformité avec les normes internationales et les bonnes pratiques, ainsi qu’avec la Stratégie nationale de développement du Qatar 2018-2022 ».
De nouveaux progrès ?
Pour autant, l’OIT reste vigilante. Tout en affirmant que « l’ouverture de ce bureau atteste de l’engagement de l’Etat du Qatar de préserver les droits des travailleurs », son Directeur général adjoint Moussa Oumarou a précisé qu’il restait « beaucoup de travail à accomplir » tout en restant « convaincu qu’en collaborant étroitement avec nos partenaires, nous pourrons garantir des conditions de vie et de travail décentes aux travailleurs dans l’ensemble du Qatar ».
Cette avancée qui fait de la condition des ouvriers au Qatar la mieux lotie dans les pays du Golfe semble en appeler d’autres. En effet, d’après certains observateurs, Doha pourrait à brève échéance annoncer mettre fin au système controversé des visas de sortie. Résidu du dispositif de la « Kafala », il obligeait les travailleurs immigrés à attendre l’autorisation de leurs employeurs pour quitter le territoire. Ce serait une nouvelle illustration de l’avancée réelle du droit de ceux qui ont permis au Qatar d’être devenu ce qu’il est aujourd'hui.