Un Mondial dans l’œil du cyclone
Le premier élément à relever est que les autorités qatariennes ne s’attendaient visiblement pas à une telle focalisation médiatique. Certes depuis l’annonce de l’attribution, le Mondial 2022 a fait l’objet de critiques acerbes et récurrentes. Mais à la différence de ce qui est advenu ces dernières semaines, celles-ci ne présentaient pas un caractère massif. Ce qui a changé depuis l’enquête du Guardian est l’ampleur de la pression internationale qui s’est abattue sur le petit émirat. Epicentre d’une polémique planétaire, Doha a manifestement été prise au dépourvu. La fébrile réaction des autorités n’a fait qu’exprimer cette difficulté à faire face à l’indignation soulevée par le dossier du journal britannique. Les autorités ont d’abord nié la réalité du travail forcé avant d’accepter du bout des lèvres de collaborer avec une délégation syndicale internationale. Les recommandations de cette mission d’observateurs sont d’ailleurs sans appel : il faut d’urgence réformer le système du sponsoring (kafala) qui place l’ouvrier dans une situation de subordination, et mettre rapidement en place des syndicats libres. La mission menée sous la houlette de François Crépeau, rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l’homme des migrants, renvoit aux mêmes conclusions. Saluant les réels efforts entrepris pour rectifier le tir, le rapport précise néanmoins que l’émirat est encore loin d’être en accord avec les standards internationaux.
C’est dans ce contexte que le président de la FIFA vient de clore une tournée dans plusieurs pays du Golfe. Après s’être rendu en Iran et aux Emirats arabes unis, Sepp Blatter a rendu visite à l’émir du Qatar. Sur son compte Twitter, le patron du football mondial a soufflé le chaud et le froid. Après s’être exprimé en faveur de matchs organisés dans plusieurs pays de la région ("on peut envisager non pas seulement le Golfe, mais le Moyen-Orient en général", avait-il affirmé), Blatter a clos le début de polémique en déclarant, "j’ai reconfirmé à l’émir et au Premier Ministre que la Coupe du monde 2022 se tiendrait bien au Qatar (et ne serait PAS partagée avec d’autres pays)". Ces hésitations et retournements démontrent l’ampleur du malaise face à un Mondial qui prend de plus en plus les allures d’imbroglio permanent.
Le Soft power à la rescousse
Face à cette confusion, plusieurs raisons nous poussent à croire que le Qatar n’aura d’autres options que d’impulser à court terme une série de réformes pour aplanir la situation. D’abord, la dévalorisation de l’image du Qatar ne va pas dans le sens de cette visibilité attractive qu’entretient l’émirat depuis plus d’une décennie. Cœur de la stratégie du Soft power, la diplomatie de rayonnement du pays doit présenter le Qatar aux yeux du monde comme un Etat prospère, attirant et respectueux des valeurs humaines. En France, différents sondages ont montré cette méfiance du public envers un Etat qui, malgré le fait qu’il fasse régulièrement la une de l’actualité, reste frappé de méconnaissance voire de suspicion.
L’autre moyen convoqué par les autorités afin d’inverser la tendance est de poursuivre la promotion du pays par les deux vecteurs dont les retombées en terme de dividendes médiatiques sont les plus en vue. Le premier concerne l’animation culturelle du pays. Depuis quelques années, Doha est devenue un acteur majeur du monde de l’art et s’est taillée la part du lion dans l’acquisition d’objets culturels à travers la planète. Pas moins d’une dizaine de musées sont ainsi en construction, et ces dernières semaines les expositions et inaugurations d’œuvres artistiques s’y sont multipliées. Des sculptures de l'artiste britannique Damien Hirst à la statue de Zinedine Zidane, l’émirat fait preuve d’une importante activité artistique qui va se prolonger par le lancement mondial de Qela, la marque de mode qatarienne qui va prochainement s’installer à Paris, Milan et New York.
Le deuxième levier mis à contribution est le football avec notamment l’utilisation du PSG comme la vitrine mondiale de la diplomatie sportive de l’émirat. Avec sa pléiade de stars et au vu des résultats de plus en plus séduisants, l’équipe de Laurent Blanc est utilisée comme un support de promotion du Qatar. L’envergure du club parisien, son capital symbolique et les ambitions qu’il affiche permet désormais de conquérir autant les opinions occidentales que le juteux marché asiatique. C’est sans doute dans ce cadre qu’il faut situer la récente annonce du match de gala qui se jouera à Doha le 2 janvier prochain, opposant le PSG au Real Madrid. On imagine en effet les retombées symboliques d’une confrontation qui opposera les vedettes du ballon rond avec comme guest-stars des joueurs tels Ibrahimovic, Cristiano Ronaldo, Bale, Cavani ou Benzema. Sur le même registre, le sponsoring avec le mastodonte du football européen, le FC Barcelone, joue également son rôle publicitaire. Ce n’est pas un hasard si le spot de présentation du contrat entre l’équipe de Lionel Messi et son sponsor, la compagnie nationale Qatar Airways est devenu la vidéo la plus vue sur le canal officiel YouTube du Barça. Et quand on sait que le PSG ambitionne de devenir le club le plus riche du monde avant la fin de la décennie, nul doute que la "diplomatie footballistique" du Qatar réserve encore quelques surprises de taille.
Crédit photo AFP.