Les ressorts d’une métamorphose
Il est très loin le temps où le transfert le plus "cher" du PSG ne dépassait pas les dix millions d'euros. Et pourtant entre la fin des années 2000 et aujourd'hui, un gouffre sépare les deux PSG. Le responsable de cette mutation s'appelle le Qatar Sport Investment (QSI), filiale du fonds souverain qatari et véritable bras financier de la diplomatie sportive de l’émirat. Car à la différence des achats compulsifs des milliardaires qui prennent possession de clubs européens et qui relèvent souvent du caprice d’ultras-riches, la stratégie de QSI répond à un objectif de reconnaissance étatique. Dans l'œil du cyclone de la région du Golfe, dépourvu d'une armée capable de rivaliser avec ses puissants voisins, le Qatar a compris avant les autres comment le Soft power pouvait constituer une arme de visibilité massive. Dans l’esprit de l’ancien émir Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, le sport était considéré comme un moyen de s’afficher pour exister sur la carte du monde. Il relevait donc d’un intérêt stratégique prioritaire de faire du Qatar un des épicentres du sport mondial et une ligne budgétaire quasiment illimitée a été mise à son service. La feuille de route a été pensée et mise en place depuis une dizaine d'années et l’un des chefs d’orchestre de cette stratégie n’est autre que l’actuel émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani. Celui qui a succédé à son père en juin 2013 a été pendant dix ans prince héritier et le véritable concepteur de cette diplomatie sportive.
Cet attachement du sport au plus niveau de l’Etat et ses implications géopolitiques sont certainement des facteurs explicatifs des impressionnants résultats engrangés. Dès le début, six axes ont balisé les efforts, en particulier pour le football et le handball : l’organisation d’évènements sportifs de grande ampleur (comme la Coupe du monde de football 2022 ou le Mondial de Handball 2015), l’installation d’un championnat national de qualité, la nationalisation de joueurs étrangers pour renforcer les effectifs de la sélection nationale, la mise en place de l’académie d’excellence Aspire pour préparer l’avenir, la mise sur orbite d’Al Jazeera Sport pour bénéficier de la diffusion des meilleures compétitions et enfin l’acquisition du PSG pour en faire la vitrine mondiale du dispositif. En ce sens, l’année 2013 semble avoir été l’année de l’accélération du processus notamment en ce qui concerne le dernier point. Pour le PSG, l’année qui vient de s’écouler a en effet été celle de la construction de la « marque mondiale de sport » qui doit faire de la formation parisienne l’équipe la plus florissante du circuit mondial.
Le triomphe du Football-power version qatari ?
Pour ce faire, d’énormes moyens ont été débloqués dans un plan stratégique qui fait du PSG un support tant de visibilité médiatique que de promotion touristique du pays. C’est dans cet esprit qu’il faut replacer l’énorme contrat qui lie le club avec le Qatar Tourism Authority (QTA) qui permet au budget parisien d’engranger la bagatelle de 200 millions d’euros annuels au titre d’un accord qui ambitionne de faire du PSG l’atout charme du Qatar au niveau mondial. L’objectif est de booster l’industrie du tourisme national et de multiplier par quatre le nombre des visiteurs pour atteindre un volume de recettes de 10 milliards de dollars à l’horizon 2030. Pour faire de l’émirat (dont l’image dans le monde est mitigé et particulièrement clivante en France) une destination touristique de choix, les autorités misent sur le PSG et sa myriade de Galactiques pour valoriser leur réputation. Zlatan Ibrahimovic ne s’y est pas trompé ; à peine arrivé au Qatar il y a quelques jours dans le cadre du Qatar Winter Tour, la star suédoise a affirmé qu’ « aujourd’hui, nous représentons Paris, la France et le Qatar ».
La confrontation entre le PSG et le Real entre aussi dans cet esprit. Pour fixer le Qatar sur la carte du sport mondial, renforcer sa notoriété et faire des stars présentes des agents d’influence, rien ne vaut d’inviter deux mastodontes du football européen dans le cadre d’un match de gala. Peu à peu, l’idée de faire de Doha un passage obligé pour les meilleurs joueurs du monde s’installe. Le PSG s’y rend pour la troisième année consécutive et de plus en plus d’équipes y posent leurs valises dans le cadre de stages de remise en forme. Doha accueille aujourd’hui non seulement les deux stars les plus médiatisées de la planète football (Ibrahimovic et Cristiano Ronaldo) mais également l’un des finalistes du ballon d’or en la personne de Franck Ribéry présent pour le compte du grand forum GlobeSoccer. L’industrie des conférences est en effet une autre manière de faire venir les personnalités qui comptent. Au début du mois de décembre, c’est la deuxième édition du Doha Goals Forum qui a vu défiler des dizaines d’anciennes gloires du sport olympique.
Les écueils pourtant pour le pays ne manquent pas. En ce qui concerne le contrat du siècle avec le Qatar Tourism Authority, la question reste ouverte pour savoir si l’UEFA validera dans quelques semaines ce contrat d’un nouveau genre dans le cadre du « Fair play financier ». De même, les milliards déboursés au Qatar pour faire du pays la plaque tournante du sport mondial ainsi que la venue de stars dans différentes disciplines (le match PSG/Real se joue au même moment que le tournoi ATP de Doha où les meilleurs joueurs tels Nadal ou Murray sont présents) ne peuvent masquer l’envers du décor d’un système qui prive de nombreux ouvriers de leurs droits élémentaires. C’est d’ailleurs le grand dilemme des autorités qui risquent de s’accentuer avec le temps et pour lequel les quelques mesures prises ces derniers mois ne semblent pas suffisantes.