- s'assurer un accès libre et direct à l'océan Indien, pour s'affranchir de la vulnérabilité du détroit d'Ormuz ;
- devenir une puissance régionale indispensable pour le contrôle de la voie maritime qui relie l'Europe à l'Extrême-Orient ;
- prendre pied sur la rive africaine pour devenir un acteur majeur de son développement, et en particulier des riverains de la Corne : Somalie, Somaliland, Ethiopie et Érythrée.
2/ La guerre au Yémen constitue l'une des sources d'instabilité les plus fortes de l'équation régionale. Que cherchent réellement l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis à travers ce conflit? Leurs objectifs sont-ils les mêmes ou ces deux parrains de la coalition poursuivent ils des agendas séparés voire potentiellement antagoniques?
Les buts de guerre de ces deux alliés ne sont pas les mêmes :
- l'Arabie prétexte l'appui iranien aux rebelles houthistes du Nord pour tenter d'éliminer la menace que représente à ses yeux, fondamentalement, le peuple yéménite : un peuple pauvre, nombreux, paysan, mais doté d'une longue tradition historique nationale, et qui s'est doté une république certes imparfaite mais dont la jeunesse a exprimé une maturité politique dangereuse lors de la révolution de 2011. L'Arabie cherche donc à :
- - éradiquer le soutien iranien à la rébellion houthiste retranchée sur son bastion des hauts plateaux du Nord, adossés à la frontière saoudienne et qui tient la capitale Sanaa, pour y rétablir un régime soumis à ses intérêts ;
- écarter tout risque de contagion auprès de sa propre population d'origine yéménite des provinces frontalières de Najran et de Jizan ;
- mais elle a aussi des prétentions historiques et un intérêt stratégique à exercer un contrôle sur le Yémen du Sud, pour s'y ménager un accès à l'océan Indien, en particulier pour ses exportations de pétrole brut.
- Les Emirats Arabes Unis, qui ont beaucoup investi dans cette aventure militaire conjointe, ont certes les mêmes préoccupations concernant la menace démocratique ou l'influence iranienne. Mais leur intervention vise plus au contrôle des rivages du golfe d'Aden, du détroit de Bab el Mandeb et de la mer Rouge. La coalition pourrait ainsi se muer en compétition, en ce qui concerne le Yémen du Sud : le représentant du président yéménite élu, El Hadi, protégé des Saoudiens et originaire du Sud, a ainsi été évincé d'Aden, où règnent désormais les forces émiriennes.
3/ Au sein de cette zone, les tendances conflictuelles semblent être tempérées par une volonté de certains pays d'enterrer la hache de guerre. Que vous inspire, par exemple, le récent rapprochement assez spectaculaire entre l'Ethiopie et l'Érythrée?
Il ne faut pas faire d'amalgame ni lier ou opposer outre mesure les évolutions en cours sur les deux rives de la mer Rouge. Certes, les Emirats ont poussé l'Érythrée à accepter la main tendue par l''Ethiopie, avec des arguments sonnants et trébuchants, et la promesse d'une protection des intérêts érythréens dans le rapprochement en cours. Mais cette initiative éthiopienne était dans l'ordre des choses, avec la venue au pouvoir d'Abyi Ahmed : elle lève un verrou dans la politique de développement économique et d'ouverture accélérés de l'Ethiopie, tandis que l'Erythrée est bloquée dans un isolement paranoïaque et une stagnation économique sans issue.
C'est un processus gagnant-gagnant qui est enclenché, entre deux Etats mais surtout entre deux nations nées du même terreau de l'empire abyssin, très proches malgré le sang versé, et dotées de capacités humaines importantes de développement économique et social. Il y a donc là une psychologie collective très différente de celle de la Péninsule arabique où dominent les égos monarchiques et les rivalités de puissances étrangères entretenues par la rente en hydrocarbures.
4/ La Somalie peine à se relever de son marasme et semble s'installer dans une crise profonde. Ce pays est-il menacé d'implosion sous l'effet de rivalités régionales qui en font un terrain d'affrontement par procuration?
La Somalie est certes un Etat failli depuis la chute de Siyad Barré en 1991. Mais le peuple somali est structuré en tribus et en clans, qui forment une assise permettant la poursuite d'une activité économique très ductile. Le pays est donc partagé en régions plus ou moins autonomes, non reconnues internationalement mais qui parviennent à fonctionner sur un mode minimaliste. Aujourd'hui, ces différents pouvoirs sont l'objet d'attentions pressantes de la part des deux camps qui s'affrontent dans et autour de la péninsule arabique : implantation de bases militaires, formation d'armées nationales ou régionales, aide économique.
Ces soutiens concurrents des Emirats Arabes Unis d'un côté, de la Turquie de l'autre, sont motivés par la situation géostratégique de la Somalie, avec ses 1700 km de côtes sur une voie maritime vitale, et l'accès qu'elle peut offrir vers l'Ethiopie enclavée. La réunification de la Somalie dans un Etat centralisé semble donc hors de portée (et peu désirée par les intéressés), mais les pressions et les aides militaires apportées aux différentes factions peuvent être un facteur nouveau de déstabilisation régionale, à proximité des bases militaires régionales et occidentales qui se côtoient à Djibouti.