Après les manifestations pacifiques de février-mars 2011, les Etats voisins, principalement l’Arabie saoudite, sont intervenus militairement le 14 mars. Il y a eu des dizaines de morts, par balles ou par l’utilisation massive de gaz lacrymogènes, des centaines d’arrestations et de prisonniers torturés, des milliers de licenciements et de révocations de fonctionnaires, médecins, enseignants, ouvriers….
Sous la pression internationale, une Commission d’enquête a été constituée fin 2011 sur les évènements du printemps, dirigé par l’égypto-américain Cherif Basiuni. Elle a dénoncé la pratique de la torture et les arrestations et révocations arbitraires et formulé des recommandations de réformes qui ont été acceptées par le roi, mais sont demeurées pour l’essentiel inappliquées.
L’état d’urgence a été levé, mais loin de s’améliorer la situation s’est dégradée en matière de droits sociaux, civiques et humains, surtout depuis 2014. L’opposition évalue le nombre de prisonniers politiques à 4000 personnes, principalement des jeunes.
2 - Actuellement, comment évolue la situation : est-on dans une radicalisation de la politique répressive ou peut-on espérer un début d'assouplissement ?
Au contraire, la répression a repris de plus belle et s’est amplifiée et systématisée : interdiction des partis politiques légaux WIFAQ (2016) et WAAD (2017), arrestation répétée de leurs dirigeants et militants, interdiction du dernier journal critique Al Wasat (2016), recours à des assassinats d’opposants et rétablissement de la peine de mort (il y avait un moratoire depuis une vingtaine d’années), pratique de la déchéance de nationalité et du bannissement d’opposant, etc.
Nous sommes donc très loin d’un début d’assouplissement !
3 - Quelle est la marge de manœuvre de la monarchie bahreïnie dans la conduite de sa politique intérieure et extérieure vis-à-vis de son protecteur saoudien ?
Bahreïn est très dépendant économiquement du voisin saoudien (qui, par exemple, contrôle l’extraction de pétrole du gisement d’Abou Sa’afar et l’approvisionnement de l’importante raffinerie bahreïnienne de la BAPCO). Politiquement, l’Arabie saoudite exige un alignement du royaume de Bahreïn sur ses positions, comme on l’a vu sur la question du conflit avec le Qatar ou pour aller faire la guerre au Yémen.
4 - L'opposition est-elle clivée selon des lignes confessionnelles ou existe-t-il un mouvement transversal basant son engagement sur des considérations de principe ?
Rappelons d’abord que la population résidente totale est de l’ordre 1,4 millions d’habitants, la population autochtone en constituant la moitié. Plus des trois-quarts de ces Bahreïniens sont de confession chiite. La famille royale est sunnite et le régime tente de modifier cette situation confessionnelle en naturalisant de nombreux étrangers sunnites.
Rappelons aussi qu’en 2010, lors des dernières élections presque libres et ne concernant que la moitié du Majlis al Choura, le parlement (l’autre moitié étant nommée par le roi), l’opposition a obtenu plus de 64% pour le WIFAQ et près de 9% pour le WAAD.
L’opposition légaliste est favorable à une démocratisation du régime dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle. Le principal parti, la « société nationale islamique » WIFAQ est chiite, la « société d’action nationale démocratique » le parti social-démocrate WAAD est pluriconfessionnel comme plusieurs autres petits partis. En octobre 2011, ces deux partis et trois autres mouvements ont publié un « Document de Manama », programme pour « une voie pour Bahreïn pour la liberté et la démocratie ». Ils ont aussi souligné en 2014 leur refus des divisions sectaires et leur volonté de lutter pour l’égalité de tous les citoyens.
Il existe aussi une opposition « républicaine », clandestine, essentiellement chiite.
Enfin des mouvements salafistes sunnites sont autorisés, et soutiennent le régime.
5 - Quel est le sort réservé aux principaux responsables de l'opposition ?
De très nombreux dirigeants sont en exil, parfois déchus de leur nationalité. Et d’autres sont en prison. Le leader du WAAD, Ibrahim Sharif alterne les arrestations et les brèves périodes de liberté relative. Le cheikh Ali Salman, secrétaire général du WIFAQ est emprisonné et condamné à neuf ans de prison. La plus haute personnalité religieuse des chiites, le cheikh Issa Qasem, en résidence surveillée, est menacé de déportation après avoir été déchu de sa nationalité.
Le vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et animateur du Centre bahreïnien des droits humains, Nabil Rajab, est en prison et est considéré par le régime et ses sbires comme un « traitre ».
6 - L'Union européenne et l'ONU sont-elles montées au créneau pour dénoncer les abus des autorités bahreïnies ?
Lors des revues périodiques des droits de l’homme de l’ONU à Genève, Bahreïn a été régulièrement critiqué, non seulement pour ses atteintes aux droits, mais aussi pour la non mise en œuvre des décisions d’amélioration pourtant acceptées par le régime. Un régime qui insulte régulièrement le Haut-Commissaire aux Droits de l’homme de l’ONU et empêche le rapporteur spécial sur Bahreïn de l’ONU de rentrer sur son territoire. L’Union Européenne (Haute représentante aux Affaires étrangères) est intervenue, et surtout à plusieurs reprises le Parlement européen a voté des motions condamnant les violations des droits humains à Bahreïn. La diplomatie française a parfois manifesté sa préoccupation, comme celle des Etats Unis (à l’époque d’Obama, pas de Trump !) – rappelons que l’état-major de la 5e flotte américaine est à Bahreïn.
7 - A l'image des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite, assiste-t-on à un durcissement autoritaire et une fuite en avant répressive par une frange de la famille royale ?
L’homme fort du régime, c’est l’oncle du roi, Khalifa ben Salmane Al Khalifa. A 83 ans, il est Premier ministre depuis…1971 (date de l’indépendance octroyée par les Britanniques) ! Il représente la ligne autoritaire en interne, et l’alliance avec les saoudiens en externe. Le prince héritier, Salman ben Hamad ben Issa Al Khalifa, favorable à certaines réformes démocratiques et qui dialoguait avec l’opposition est marginalisé depuis 2011. L’émir, Hamed ben Issa Al Khalifa, autoproclamé roi en 2002, a nettement rallié la position des « durs » depuis plusieurs années.
Il y a bien fuite en avant, dans l’alignement avec l’Arabie saoudite et les Emirats. L’engagement de Bahreïn au Yémen sert de prétexte pour emprisonner pour trahison toute personne qui pointe les ravages humanitaires de cette guerre. Il contribue également à l’aggravation de la situation économique et sociale du pays mise à l’épreuve par le poids de la dette et les prix du pétrole, alors que le gouvernement a passé commande aux Etats-Unis de 3,8 Md$ d’avions de combat.
Entretien avec Bernard Dreano sur la situation des droits de l'homme à Bahreïn
mercredi, 12 septembre 2018 09:59Questions à Bernard Dreano, intellectuel, militant des droits civiques et président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, CEDETIM.
1 - La situation à Bahreïn semble s'enliser sept ans après un printemps populaire qui avait suscité beaucoup d'espoir démocratique. Quel est l'état réel des droits de l'homme aujourd'hui dans l'archipel ?
Le régime politique de Bahreïn est celui d’une monarchie absolue, toutefois, entre 2001 et 2010 le pays a connu une période de relative libéralisation, une certaine liberté d’expression, la possibilité de constituer des « associations politiques » (le terme de « parti » étant exclu), un peu d’espace d’activité pour des ONG…
Publié dans
Trois questions à