Un blocus condamné et condamnable
Depuis juin dernier, le NHRC a été saisi de milliers de plaintes de la part des victimes civiles de l’embargo. Très sollicité, il a rendu plusieurs pré-rapports pour évaluer l’ampleur des dégâts causés par cette décision unilatérale. Pour rappel, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte ont décidé le 5 juin dernier de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar et de fermer leurs espaces aérien, maritime et terrestre. Dans les faits, cette décision aussi brutale que soudaine (Doha avait jusque là rétabli des liens forts avec Riyad) s'apparente à un blocus sévère qui isole le Qatar du reste du monde. Dès le 5 juin, les quatre pays avaient ainsi lancé un ultimatum aux Qataris présents sur leur sol de quitter leur territoire dans un délai de 14 jours tandis que leurs ressortissants installés dans l’émirat gazier devaient faire de même.
Sur le plan humain et moral, cet embargo a provoqué de grandes souffrances. Des milliers de familles ont été déchirés, certains parents ne pouvaient plus entrer en contact avec leurs enfants tandis que des couples se sont brutalement vus imposer une période de séparation étant donné l’impossibilité pour les ressortissants des différents pays de se rendre au Qatar et vice-versa. L'été dernier, le Hadj ou "Grand pèlerinage" a même été interdit aux citoyens du Qatar, l'Arabie Saoudite multipliant les entraves à l'accès aux Lieux saints en dépit de ses déclarations affirmant le contraire. Alertés de cette situation malheureuse, différentes ONG ont pris position en condamnant les effets délétères du blocus auprès du tissu social des habitants du Golfe dont les liens de parenté sont pourtant nombreux étant donné leur affiliation à de grandes tribus réparties dans toute la région. C’est à ce titre que le président français Emmanuel Macron a pris début septembre une position remarquée en demandant la levée de l’embargo pour les victimes civiles du blocus.
Un rapport précis
Ces derniers jours, le NHRC a publié un nouveau document dans lequel il détaille de manière précise les conséquences du choix opéré par les pays du « Quartet ». Suite à une recension effectuée ces derniers mois, l’organisme est arrivé à la conclusion suivante :
706 ressortissants des pays du blocus ont été lésés dans leur droit à l’éducation. Ces étudiants ont en effet été contraint d’interrompre brutalement leur cursus poursuivi à l’université du Qatar.
504 étudiants qataris inscrits dans les universités ou instituts supérieurs des pays du blocus ont été expulsés suite à la décision du 5 juin. La plupart d’entre eux étaient inscrits dans des établissements en Egypte.
11 387 cas de violation du droit à la circulation et de propriété ont été répertoriés. Outre l’interdiction de se déplacer dans les pays du Quartet, de nombreux citoyens qataris ont vu leur commerce ou entreprise être lésés du fait de l’impossibilité de se rendre sur place pour faire le suivi de leur activité. Il en va de même pour les citoyens des quatre pays qui avaient des intérêts économiques ou financiers au Qatar.
1954 cas ont été enregistrés de travailleurs qataris qui ont dû quitter leur emploi dans les pays du blocus. Ce chiffre inclut aussi les ressortissants des pays du Quartet qui ont du abandonné leur profession exercée dans l’émirat gazier.
1337 citoyennes qataries mariées avec des ressortissants des pays du blocus ont été victimes de difficultés dans leur vie conjugale et familiale du fait de l’interruption des échanges et des visites entre les ressortissants des différents États.
8275 cas ont été enregistrés de citoyens qataris mariés avec des ressortissantes des pays du blocus dont la vie familiale et conjugale a été perturbée du fait du blocus.
L’ensemble des ces chiffres démontre combien l’embargo a été la cause d’un grand nombre d’atteintes aux droits les plus élémentaires pour des milliers de personnes. Plus largement, il a été la cause d'un accroissement des discours de haine et une libération de la parole revancharde et agressive s'est libérée chez certaines franges des pays du blocus, ce qui a poussé le NHCR à interpeller le rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme pour qu'il se saisisse de la situation. Face à ce constat affligeant, la société civile du Golfe semble désormais prendre la mesure du danger qui menace l’intégrité du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui, jusque là, représentait l’une des seules structures encore en fonctionnement dans un monde arabe dominé par le marasme. Ces derniers jours, un appel signé par 53 personnalités du Koweït a ainsi été publié demandant aux différents protagonistes de mettre un terme à leurs différends, précisément pour maintenir la région dans un état de paix et préserver l’harmonie d’un tissu social du Golfe qui partage de nombreux liens de famille, de culture et de tradition. Il y a urgence car, en plus des dégâts sociaux infligés aux couples, étudiants et entrepreneurs, la crise qui a désormais dépassé les six mois risque de s’inscrire dans la durée avec un risque d’accentuation des clivages. Et il apparaît évident qu’aucun pays du Golfe ne sortira grandi de cette confrontation.