Rachat du Printemps Haussman : une nouvelle preuve du Soft power qatari

samedi, 06 avril 2013 02:00

5597968-le-printemps-nouveau-rachat-emblematique-du-qatar-en-franceAprès le PSG, David Beckham et Zlatan Ibrahimovic, les différents palaces, le rachat du Printemps par les investisseurs en provenance du Qatar s’inscrit en droite ligne de ce soft power qui dicte ses actions à l’international, et notamment en France. Il repose sur trois dimensions :

1. Dimension symbolique

Ce rachat à 100% du Printemps relève d’une stratégie de communication qui voit le Qatar tout faire pour que son nom soit accolé à des endroits, des institutions, des images prestigieuses. Le Printemps, c’est une enseigne de marque qui symbolise le luxe propre à Paris, la capitale de la mode, des arts et de la culture.

 

La "ville-lumière" dispose d’une charge symbolique unique au monde et c’est un atout qui pèse aux yeux des investisseurs du Qatar. D’autres cités occidentales sont dans le viseur.

À Londres, les investissements dans l’emblématique magasin Harrod's ou le financement de la construction de la tour Shard (la plus haute d’Europe) s’inscrivent dans la même optique. Adepte de la diplomatie d’influence, les autorités qataries sont friands d’investissements à forte rentabilité symbolique afin d’en capter les dividendes médiatiques.

2. Dimension diplomatique

Cela fait maintenant plusieurs années que le Qatar investit régulièrement en France. Pour eux, plus qu’une cible, c’est une destination privilégiée. Cela tient essentiellement à l’influence dont dispose encore la France dans le concert des nations. Membre permanent du conseil de sécurité, interlocuteur privilégié au Moyen-Orient… La voix de la France pèse encore dans les relations internationales.

Le Qatar, qui a une conscience aigue de ses faiblesses intrinsèques, a besoin de soutiens de poids. Parmi ceux-ci, on trouve naturellement les Etats-Unis où l’émir doit se rendre en visite officielle dans deux semaines. En dehors de Washington, les capitales qui comptent sont Londres et Paris.

L'investissement dans l’immobilier, les palaces ou les grandes enseignes de marque sont ainsi perçues comme le support de liens économiques et diplomatiques qui permettront de densifier une relation stratégique. La diplomatie d’influence du Qatar se déploie ainsi sur plusieurs échelles : la pluralité des liens tissés permet d’installer des intérêts combinés.

Avec la France, l’histoire avait commencé sous Nicolas Sarkozy, lequel avait facilité l’arrivée de Qatar Sports Investments à la tête du PSG, et appuyé la candidature du pays pour l’organisation de la coupe du monde 2022. L’arrivée de François Hollande au pouvoir a pu changer la donne et instiller une certaine tension entre les deux pays. Tension qu’on a pu retrouver pendant quelques temps alors que le Qatar était soupçonné d’aider les jihadistes du Nord-Mali, que la France combattait.

Ce nouvel investissement peut être perçu comme une volonté des Qataris de s’installer sur la durée dans notre pays. C’est un signe d’apaisement, une communication très claire pour dire : "la France est un allié".

3. Dimension économique

Aujourd’hui, la grande majorité des revenus qataris proviennent de l’extraction de ses hydrocarbures. Une dépendance qui ne convient pas aux dirigeants. Non pas qu’ils s’effraient d’un tarissement de leurs ressources, mais le retournement de marché, comme ce fut le cas au moment du contre-choc pétrolier dans les années 80, n’est pas une hypothèse à exclure. Une baisse brutale du prix du baril serait un rude coup pour l’économie du pays.

L’ambition qui anime la feuille de route des dirigeants de l’émirat, appelé Qatar National Vision 2030, est de parvenir à un stade où plus de la moitié du PIB proviendra de la rente de leurs investissements à l’étranger. L'État qatari, via son fonds souverain et ses différentes filiales, investit donc dans des placements à long terme qu’on peut qualifier "d’investissements de rendement".

L’achat du Printemps illustre parfaitement cette stratégie. En effet, le marché du luxe n’a pas du tout été affecté par la crise et n’est pas près de l’être : les riches sont de plus en plus nombreux dans le monde. Les nouveaux millionnaires en provenance des économies émergentes se comptent en millions et une partie d’entre eux aiment se rendre à Paris. Cette nouvelle réalité est confirmée par les chiffres : le Printemps, qui a vu son chiffre d’affaire bondir de 30% en quelques années, a vu la clientèle internationale passer de 10% de ses ventes en 2006 à 35% aujourd'hui.

De la même manière, l’émirat n’hésite pas à investir dans des pays qui sont actuellement en crise : en Grèce, en Espagne… Parce qu’ils ont l’espoir de voir ces économies se relever au bout de quelques temps et redevenir les places fortes qu’elles étaient, tant économiquement que diplomatiquement.

La France ne va pas être rachetée par les Qataris

L’annonce de l’acquisition du printemps par le Qatar est l’occasion de revoir fleurir de nombreux commentaires axés sur le sentiment que "le Qatar rachète la France". Même si l’implication des différentes entités qataries dans l’économie française est une réalité, il faut savoir raison garder et ne pas céder aux sirènes de la rhétorique de l’invasion.

Le Qatar a placé près de 250 milliards de dollars dans une quarantaine de pays dans le monde. La part française de cette implication s’élève à une quinzaine de milliards soit moins de 7%. De même, le ratio entre les investissements du Qatar en France comparé à l’ensemble des IDE (investissements directs à l’étranger) que capte l’économie française est très faible.

Néanmoins, on ne peut qu’être frappé par la grande publicité faite à une présence, somme toute modeste au regard des chiffres, et la réalité d’une couverture médiatique qui joue parfois sur le registre d’une France menacée par un nouvel acteur aux allures de prédateur.

Cette tonalité est d’autant plus anxiogène que le Qatar présente, dans l’imaginaire collectif, l’image d’un Etat conservateur et fermé. Il n’est pas interdit de penser que cette focalisation à l’endroit du Qatar ne soit pas une des nombreuses manifestations de cette difficulté, au sein d’une partie des élites et de l’opinion, à appréhender sereinement tout ce qui se rapporte à l’univers de l’islam.

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