En France on parle beaucoup des investissements de l’Emir et de la famille régnante dans les secteurs de la mode, du luxe, du Psg. En fait, c’est selon vous dans les deux sens ?
On a une espèce de fixation en France sur les investissements qataris sur le territoire français. Il faut mettre les choses à leur juste place. Quinze milliards de dollars, c’est le montant total des investissements de Doha, on est loin de ce que font d’autres pays arabes comme les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite. Il faut distinguer l’audience médiatique de la portée réelle de ces investissements. Ce qui est sûr, c’est que la France de son côté a compris que, parmi les marchés qui peuvent lui être offert, ou pour lesquels elle a une possibilité de faire progresser ses parts de marché, le Qatar est un pays important. Parce qu’il y a une réelle volonté de l’Emir, du Prince héritier d’avoir des relations fortes avec Paris, et parce que la France a des atouts sur le plan industriel à faire valoir, pour lesquels le Qatar est attentif. Les grands fleurons de l’industrie française intéressent l’émirat.
Quel est l’état de la coopération militaire ?
Il y a eu il y a quelques semaines un grand exercice entre les deux armées. C’est le point d’orgue d’une coopération constante, malgré les alternances politiques à Paris. Même si le Qatar considère les Etats-Unis comme le véritable protecteur de ses frontières, souhaite ne pas dépendre uniquement de l’aide américaine, il est intéressé par l’armement français. L’aviation qatarie reste largement équipée par du matériel français. Même si les anglo-saxons gagnent des parts de marché, l’expertise et l’ancienneté des relations bilatérales avec la France continuent de peser.
En Syrie, le Qatar a-t-il financé des groupes djihadistes ?
Hormis un flottement initial, le Qatar a pris fait et cause pour l’opposition syrienne. A partir du moment où cette opposition s’est militarisée, le Qatar a souhaité armer les mouvements les plus proches. C’est-à-dire, comme dans les autres pays arabes qui ont connu une révolution, avec les mouvements issus des Frères musulmans. On a donc clairement un soutien financier, politique, médiatique du Qatar aux groupes affiliés aux Frères musulmans. Concernant l’armement proprement dit, on connaît la réticence jusqu’à aujourd’hui des Américains de fournir des armes lourdes aux rebelles syriens. Donc les livraisons se font au compte goutte, de manière indirecte, et ce sont essentiellement des armes légères qui ont été fournies par les autorités du Qatar. On enregistre, comme dans tous les pays du Golfe, un fort mouvement de soutien financier des rebelles syriens et les camps de réfugiés situés en Turquie, en Jordanie et au Liban.
Et le soutien aux Djihadistes ?
Non, je ne pense pas. Ce serait en contradiction avec les liens que le Qatar tisse avec les pays occidentaux. Cela va en contradiction avec l’islam d’Etat que souhaite exporter le Qatar qui est un islam beaucoup plus proche des Frères musulmans, qui sur le terrain syrien, ne vont pas par exemple s’allier avec Al-Nosra ou les groupes djihadistes les plus radicaux. On est dans un soutien à l’armée syrienne libre, ce qui est plus ou moins reconnu par les autorités comme étant le canal le plus légitime de la révolte syrienne, l’ASL dominée par les Frères. Pour ce qui est des groupes djihadistes, on a surtout une frontière très poreuse entre l’Irak et la Syrie et ceux qui ont croisé le fer avec l’armée américaine dans la décennie 2000 se sont rabattus en Syrie et ce sont eux qui prennent de l’ampleur et expriment la vision djihadiste.
Et au Mali, y a-t-il eu soutien à certains groupes djihadistes combattus par l’armée française ?
L’été dernier, on avait la présence au Nord-Mali d’une organisation humanitaire qatarie autour de l’hôpital militaire de Gao, c’était le Croissant rouge. Ce qu’il faut mettre en évidence, c’est que cette association qatarie intervient régulièrement dans les lignes de fracture du monde musulman. Ils sont intervenus en Somalie à l’époque où la situation sécuritaire était très périlleuse. Ils interviennent dans les camps birmans. La vraie question est de savoir si cette présence humanitaire qatarie a assuré un financement ou une couverture pour les groupuscules djihadistes au Nord Mali. De mon point de vue, je ne le pense pas. Pour deux raisons principales. D’abord, le rapport de la DGSE de novembre dernier montre l’absence d’éléments qataris effectifs. Et puis, second élément, le Qatar a un besoin impératif d’avoir la relation stratégique la plus forte possible avec les grands de ce monde, dans un soucis de sécurisation de ses frontières et de stabilité de son pays. Il a un besoin d’avoir un partenariat stratégique fort avec les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France. On ne voit pas quel serait l’intérêt du Qatar à soutenir des groupuscules qui ne partagent pas le même islam.
Doha a plutôt critiqué l’intervention française …
Oui, le Qatar a déclaré vouloir privilégier une solution politique basée sur la négociation et pense que le langage des armes n’est pas le plus opportun. Mais de là à parler de soutien aux groupes djihadiste, il y a un grand pas selon moi.
Qu’attendre de ce voyage de François Hollande ?
Je pense qu’il faut en attendre une normalisation auprès de l’élite et de la presse françaises. On voit le Qatar comme une sorte d’intrus. Je pense que ce voyage arrive au bon moment pour répondre aux récentes accusations contre le Qatar qui voudrait islamiser les banlieues, qui entretiendrait un agenda caché, qui aurait un rôle pernicieux dans le monde arabe. Il faut rappeler que c’est un pays qui défend ses intérêts. On peut de façon très légitime critiquer le manque de liberté qui règne à Doha, la question lamentable des ouvriers étrangers .. mais le Qatar est aussi un pays qui souhaite s’orienter vers une modernisation de ses institutions. C’est un pays qui bouillonne, il faut le traiter comme n’importe quel Etat, et cesser d’alimenter certains fantasmes.
Source : http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2013/06/21/qatar-hollande-emir-doha-elysee.html