Le Cheikh Youssouf Al Qaradawi condamné à mort par la justice égyptienne

mardi, 16 juin 2015 17:21
qaradawimorsiLa justice égyptienne a encore frappé. Confirmant des dizaines de condamnations à mort, elle reflète la fuite en avant du pouvoir égyptien décidé à éradiquer la confrérie des Frères musulmans du paysage politique national.
 
Le jugement était attendu et certains, à la veille du Ramadan, espéraient de la part du régime putschiste égyptien un geste de clémence. Il n’en fut rien. Impliqué dans cinq procédures judiciaires, l’ancien président Mohamed Morsi a vu sa condamnation à mort en première instance confirmée par un tribunal du Caire.
 
Prononcée le 16 mai dernier, cette sentence fatale devait passer, selon le code de procédure pénal égyptien, par la validation auprès du Grand Mufti. Puisque ce dernier a exprimé son approbation, Mohamed Morsi peut donc être exécuté à tout moment.
 
Des décisions de justice très politisées
 
Ce jugement porte sur l'affaire dite « des évadés de prison » qui fait référence au moment où pendant la période révolutionnaire de janvier et février 2011, les prisons égyptiennes se sont vidées de leurs prisonniers. Souhaitant susciter le chaos, le régime de Hosni Moubarak avait fait libérer les prisonniers de droit commun et les opposants politiques avaient profité de la brèche pour quitter leurs cellules. Parmi ces derniers, on trouve Mohamed Morsi. 
 
C'est donc sur cette affaire que l'ancien président a été condamné à la peine de mort avec d'autres cadres des Frères musulmans dont Mohamed Badi', guide suprême de la confrérie. Ses principaux lieutenants sont aussi visés comme Mohamed Baltagi dont la fille avait été tuée pendant le massacre de la place Rabi’a en août 2013 ou encore l'influent et vice-guide suprême Khayrate Al Shater.

Mohamed Morsi a aussi été jugé sur une autre affaire qui porte sur des accusations d’espionnage au profit du Hamas et du Hezbollah. Aussi bizarre que cela puisse paraître, la justice égyptienne condamne à la prison à la perpétuité le premier président démocratiquement élu de l’histoire du pays pour avoir participé à une vaste entreprise de fuites d’informations confidentielles au profit des deux organisations connues pour leur résistance armée face à Israël. Beaucoup d’observateurs et une grande partie du peuple égyptien s’interrogent non seulement sur l'extrême sévérité de la peine mais également sur sa nature : en quoi le Hamas et le Hezbollah seraient-ils des ennemis de l’Egypte ? La solidarité avec la Palestine n'est-elle pas l'une des idées forces de la diplomatie égyptienne et ce, malgré l'accord de paix signé entre Le Caire et Tel Aviv en 1978? Quid alors d’Israël qui devrait représenter le véritable adversaire géopolitique du plus grand des pays arabes?

A côté de ces deux affaires, Mohamed Morsi a été également condamné à 20 ans de prison le 21 avril dernier pour "incitation au meurtre" contre des manifestants durant sa courte mandature. Ce jugement a été prononcé aux côtés de 14 autres personnes pour les mêmes motifs. Cette série de condamnations a provoqué un tollé sur la toile. Des militants ont appellé à des manifestations en masse ce vendredi dans toutes les grandes villes d'Egypte.   

Dans une autre procédure, Morsi devra être traduit mais cette fois-ci à cause de sa prétendue compromission avec le Qatar. Le petit émirat semble d’ailleurs être dans le viseur de la justice égyptienne étant donné l'identité des autres inculpés.

Le Qatar dans le viseur du régime égyptien

Car l'un de ceux qui ont été condamnés à la peine capitale n'est autre que le Cheikh Youssouf Al Qaradawi qui a longtemps joué le rôle de guide spirituel de la confrérie. Réfugié au Qatar depuis 1962, il est également titulaire de la nationalité du petit émirat. Jouant depuis de nombreuses années le rôle de mufti "officieux" du pays, il est aussi l'une des personnalités les plus écoutées du monde musulman. Docteur de l'Université Al Azhar, il a écrit plus d'une centaine d'ouvrages qui traitent à la fois des disciplines islamiques mais également des problèmes que rencontre le monde musulman. Ecouté jusqu'en Chine et en Indonésie, son activité s'est réduite ces dernières années du fait de sa santé chancelante. Agé de 89 ans, il demeure au Qatar mais ne participe plus depuis près de deux ans à l'émission phare de la chaîne Al Jazeera, Al Shari'a wal hayat (La shari'a et la vie) qui a été interrompue en août 2013. Son soutien aux révolutions arabes a fait de lui une personnalité clivante dans le monde arabe : adulé par les uns, il a été critiqué par une frange de l'opinion arabe qui fustigeait son parti pris aux soulèvements populaires, particulièrement s'agissant de la Syrie. Réagissant à sa sentence, l'intéressé s'est fendu d'un poème sur Twitter dans le but de tourner en dérision la décision de justice.

L'autre acteur visé par la justice égyptienne dans cette série de condamnations a été le Hamas. Par la voix de l'un de ses portes parole, l'organisation palestinienne a dénoncé la mascarade de la justice égyptienne puisque certains des condamnés à mort, membres de la branche militaire du Hamas, avaient déjà été tués par l'armée israélienne. Cette erreur de la justice égyptienne en dit long sur l'état de délabrement des tribunaux du pays et surtout sur l'obsession d'éradiquer toute forme de contestation quitte à commettre de grossières erreurs.

La Turquie, premier pays à dénoncer ces condamnations

Ayant toujours refusé le coup d'Etat, la Turquie a été l'un des premiers pays à réagir. Par la voix de son Premier Ministre, Ahmet Davutoglu a exprimé sa vive préoccupation face à une décision plus politique que judiciaire. Le chef du gouvernement a même déclaré que c'était une "journée test pour les démocraties occidentales afin d'exprimer leur attachement à la démocratie". On attend de voir si les gouvernements occidentaux vont réagir à ce coup de tonnerre que constitue la confirmation de la peine capitale pour un président dont le seul tort est apparemment d'avoir gagné les élections.

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