Cette signature tout comme la visite du président iranien en France et en Europe nous offrent l’occasion de revenir sur la géopolitique d’un pays qui a longtemps été considéré comme le parrain de « l’axe de la résistance » au Moyen-Orient. Soutien du Hamas, bailleur de fonds du Hezbollah et coutumier des diatribes anti-occidentales, le pays s’est taillé l’image du rebelle régional à "l’axe américano-sioniste". La vocifération des dirigeants israéliens ne faisait d'ailleurs qu’accréditer la thèse que le pays de Khomeyni était l’incarnation de la bravoure. Last but not least, la mise en avant du caractère « islamique » du régime lui assurait une sympathie naturelle de nombreux musulmans à travers le monde qui voyaient en lui l’archétype de la République islamique qui tranchait avec la compromission des autres Etats de la région qui, pour la plupart, restaient soumis à l’ordre américain.
Il y a un peu de vrai dans cette présentation. Le problème est qu’elle est partielle et partiale mais surtout grandement superficielle. En effet, il ne suffit pas pour l’Iran de soutenir la cause palestinienne pour le rendre intouchable. L’actualité en Irak et en Syrie nous démontre qu’une puissance « pro-palestinienne » peut se rendre coupable des pires crimes commis à l’encontre de civils. Surtout, elle met en sourdine les alliances sournoises tissées par ce pays et qui sont bizarrement passées sous silence dans les rangs de ceux qui, paradoxalement, "combattent l'impérialisme américain". Un rapide retour sur les quinze dernières années suffit en effet à faire tomber les masques. En octobre 2001, lorsque les Etats-Unis lancent l’offensive contre les Talibans en Afghanistan, l’Iran est d’un soutien discret mais efficace pour le Pentagone. En mars 2003, lorsque Washington envahit l’Irak, c’est encore l’Iran qui voit d’un bon oeil cette agression qui lui permet de se débarrasser du rival Saddam Hussein qui avait vingt ans plus tôt jeté son armée contre « la forteresse perse ». L’occupation de l’Irak puis le départ des Américains en 2011 ont littéralement servi ce pays sur un plateau à Téhéran qui fait aujourd’hui la pluie et le beau temps à Bagdad.
Mais le pire a été illustré avec le drame syrien. Dès le début du soulèvement populaire, l’Iran a appliqué une grille éminemment confessionnelle ; soutenant son vassal alaouite installé à Damas, le régime iranien a décidé d'un envoi massif d’hommes, de munitions et de finances. Téhéran a donc été un acteur direct de l’entreprise de destruction du peuple syrien que Bashar al-Assad menait avec une brutalité inouïe. En plus d’envoyer ses corps d’élites, il a mobilisé ses supplétifs (dont le Hezbollah libanais) pour mater la contestation qui au départ était pacifique et qui s'est radicalisée du fait précisément de la mécanique mortifère que Téhéran a considérablement contribué à alimenter. Le fait de dire que l’Iran a été un régime de « résistance » à Israël et aux Américains apparaît donc comme une relative supercherie. Depuis dix ans, l’Iran a tué un nombre incommensurablement plus élevé de musulmans sunnites dans la région que de soldats israéliens. C’est pareil pour le Hezbollah. Cette vérité est encore corroborée avec l’accord d’aujourd’hui et la réintégration de cette puissance dans le concert des nations. En politique, il faut savoir dépasser les discours grandiloquents des uns pour s’en contenter aux faits qui, eux, ne mentent pas.
Aveuglés par le conflit israélo-palestinien, certaines personnes lisent le monde qu’à travers ce prisme. De ce fait, elles sont souvent tombées dans la propagande de Téhéran. Cette lecture est d’une grande superficialité car elle passe sous silence des réalités géopolitiques évidentes. Comme n'importe quel pays du monde, l'Iran défend des intérêts stratégiques qui peut le rendre responsable des pires turpitudes. Le problème est que le régime a longtemps instrumentalisé la fibre palestinienne pour se dédouaner de ses déboires à l'intérieur et de ses forfaits à l'extérieur. L'une des conséquences de la crise syrienne a été de dévoiler les agendas de tous les acteurs de la région. Loin de justifier le jeu trouble, malsain et éminemment critiquable des émirats du Golfe, il est quand même un fait qui a rarement été mis en avant. Depuis le départ, le pouvoir iranien a envoyé des milliers de "jihadistes" se battre aux cotés d'Assad. Bizarrement ces milices sectaires ont suscité très peu d'échos dans la presse occidentale qui s'est arrêtée la plupart du temps sur les contingents de combattants sunnites venus rejoindre les rangs de l'opposition. De plus, on a rarement fait état de de la duplicité de Téhéran avec Israël. Depuis plusieurs années, les deux pays font du commerce et tout se passe comme si cette connivence n'existait pas. Enfin, il est utile de rappeler un fait historique : lors de la guerre Iran-Irak, Téhéran s’était approvisionné en armes auprès de « l’entité sioniste » pour croiser le fer contre l'armée de Saddam Hussein. Gageons que ces éléments historiques ouvriront les yeux à ceux qui, obnubilés par la propagande iranienne, restent persuadés que ce pays défend une posture de "résistance face aux Etats-Unis et Israël".