Comment les pays du blocus ont empêché un candidat du monde arabe d'être élu à la tête de l'UNESCO

mardi, 17 octobre 2017 13:30

qatarunescoL'élection à la tête de l'Unesco s'est finalement conclue par une victoire de la Française Audrey Azoulay. Malgré la satisfaction de voir une femme désignée une nouvelle fois à la tête de l'organisation, ce scrutin a surtout illustré les dysfonctionnements d'un ordre international dont le renouvellement fait désormais figure d'urgence.

Au départ, ils étaient huit. Du Guatemala au Viêt-Nam en passant par la Chine et le Liban, huit pays avaient comme rêve de voir leur représentant occuper le poste tant convoité de directeur général de l'Unesco. Néanmoins, si certains savaient que leur démarche n'avait aucune chance d'aboutir, l'inverse était bien réel pour les prétendants des pays arabes. Car selon la coutume de la "rotation géographique", la fonction de patron de l'institution sise place de Fontenoy dans le VIIe arrondissement à Paris devait cette fois-ci échoir, pour la première fois depuis 1945, à un diplomate du Machrek.

Le Qatari Hamad al-Kuwari, le favori coiffé sur le fil

Sur les trois représentants du monde arabe (Liban, Qatar, Égypte), c'est certainement le candidat qatari qui tenait le plus la corde. Certes, les candidates du Liban et de l'Égypte ne manquaient pas d'arguments mais la faiblesse du réseau pour la première et l'état lamentable de la situation politique du pays de la seconde obéraient leurs perspectives de succès. Preuve de ce rapport de force défavorable, la représentante du pays du Cèdre figurait parmi les derniers dès le premier tour et même si la postulante du Caire a pu se hisser sur le podium, elle a sèchement été battue en demie finale par sa concurrente française.

Tous les yeux et les pronostics se sont donc rapidement tournés vers Hamad al-Kuwari. Docteur en sciences politiques de l'Université Stony Brook de New York, l'homme de 69 ans a en effet à son actif une longue expérience dans le domaine de la diplomatie multilatérale. Ambassadeur du Qatar successivement en Syrie, France et États-Unis, le diplomate connaît bien l'univers onusien, passant six années comme délégué de son pays à l'ONU et occupant même le poste de vice-président de l'Assemblée générale dans les années 1980. Mais c'est surtout son dynamisme en faveur de la culture au cours des deux décennies écoulées qui l'a naturellement motivé pour briguer la tête de l'organisation mondiale en charge de l'éducation, la science et la culture.

De l'abandon de la censure à la promotion de la francophonie

Dès 1992, Hamad al-Kuwari est en effet désigné ministre de l'Information et de la Culture. Au cours de la décennie 1990, il met en place une politique de libéralisation qui culmine avec l'abolition de la censure imposée sur les journaux et les publications littéraires. Dans la foulée, le poste de ministère de l'Information est supprimé en 1997 et c'est sous sa direction que les principaux titres de la presse internationale font leur entrée dans l'émirat. 

Cette politique d'élargissement des espaces de liberté se confirme lors de la décennie suivante et se double d'une volonté d'ouverture vers le monde. En juillet 2008, Hamad al-Kuwari revient au gouvernement avec un ministère élargi comprenant la Culture, les Arts et le Patrimoine. Cette nouvelle fonction est marquée par un investissement massif dans la sphère culturelle conçue à la fois comme vecteur de promotion du Qatar mais surtout comme levier de rassemblement des différentes civilisations à l'échelle du monde. C'est d'ailleurs au cours de son mandat que le Qatar inaugure l'imposant musée des arts islamiques considéré comme l'un des établissements culturels les plus rayonnants de tout le Moyen-Orient. 

Considérant le dialogue des civilisations comme un impératif à l'heure où le discours populiste et la surenchère identitaire dominent les représentations, le diplomate multiplie les initiatives à vocation médiatrice. En plus d'avoir obtenu la nomination de Doha comme "capitale culturelle arabe de l'année 2010", il préside au même moment la 17e Conférence des ministres arabes de la Culture. Peu de temps après, il est à la manœuvre dans le programme des "années culturelles" qui cherche à consolider les liens entre son pays et ses différents partenaires à travers le monde. À partir de 2012, plusieurs États sont ainsi mis à l'honneur: débutant avec le Royaume-Uni, l'initiative qui vise à valoriser les apports culturels de diverses nations se prolonge avec le Japon (2013), le Brésil (2014), la Turquie (2015), la Chine (2016) et l'Allemagne (2017). 

Enfin, amoureux de la France et passionné par la culture et la langue de Molière, Hamad al-Kuwari a été l'un des artisans de l'admission controversée du Qatar comme membre associé à l'Organisation internationale de la Francophonie en 2012.

L'Unesco prise dans le tourbillon de la crise du Golfe

C'est donc dans un esprit d'aboutissement d'un parcours qu'il estime riche que l'homme a souhaité prendre la direction d'une organisation qui battait de l'aile et dont le renouveau devenait pressant. En plus de difficultés financières, les accusations de politisation dont l'Unesco faisait l'objet l'avait mise sur la sellette. Pour la réformer et lui donner un nouveau souffle, l'institution ne pouvait espérer mieux qu'un changement de leadership. Disposant d'un programme novateur faisant de l'accès à l'éducation, la collaboration universitaire et la promotion des œuvres culturelles des remparts face au terrorisme, Hamad al-Kuwari pouvait se targuer de porter une réelle ambition pour le nouveau mandat. 

Mais la mauvaise réputation du Qatar sur la scène mondiale avec les accusations de financement de groupes radicaux et la débauche de moyens mis à sa disposition qui prêtait le flanc à l'accusation de corruption de certains agents ont terni sa campagne. Ces critiques ne l'ont cependant pas empêché de mener un parcours honorable puisqu'il est systématiquement arrivé en tête lors des différents tours du scrutin, ne perdant au dernier tour que de deux voix.

Il est d'ailleurs évident que sa défaite n'est pas due à la teneur de son programme mais plutôt à des manœuvres qui, s'étalant sur la place publique, n'ont malheureusement pas haussé le prestige de certains États. Il y a d'abord la fâcheuse décision des États-Unis et d'Israël qui, la veille du vote final, ont annoncé leur retrait de manière fracassante. Loin d'apaiser les esprits, cet événement avait en partie pour objet de mettre en garde contre une probable victoire du Qatar, les autorités israéliennes ne cachant pas leur affolement de voir Doha l'emporter. Mais c'est surtout l'attitude de plusieurs pays arabes qui restera dans les mémoires. 

Déterminés à barrer la route à l'émirat gazier, les pays du blocus emmenés par l'Égypte ont fait feu de tous bois lors du sprint final allant jusqu'à menacer de quitter l'organisation si le candidat du Qatar était élu. Illustrée par les hurlements d'un responsable égyptien scandant "À bas le Qatar et vive la France", cette posture mesquine n'a finalement que mis en lumière combien les adversaires du petit émirat étaient prêts à toutes les compromissions pour arriver à leurs fins. 

Dans un geste de courtoisie alliant élégance et responsabilité, la réplique des officiels qataris a fait état du gouffre qui séparait les valeurs des deux camps. Répondant aux cris hystériques du responsable égyptien, Ali Zinal, l'ambassadeur du Qatar à l'Unesco a affirmé: "Nous, nous disons vive l'Égypte, vive le Qatar". Avec cette attitude, il est des défaites qui gardent le goût d'une victoire.

Cette tribune a initialement été publiée sur le site du HuffpostMaghreb. 

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