Des candidatures en trompe l’oeil
En effet, selon une coutume non écrite, la désignation du patron de l’UNESCO suit la logique d'une présidence tournante conformément à la règle de « la rotation géographique ». Depuis les années 80, la direction a successivement été occupée par des représentants africain, espagnol, japonais ou bulgare. L'heure semble aujourd’hui avoir sonné pour mettre à l’honneur une personnalité du monde arabe. Symboliquement fort, cet acte – s’il advenait – constituerait une avancée majeure et donnerait la preuve que les exécutifs des organisations onusiennes connaissent un réel processus de renouvellement.
Cependant, compte tenu du caractère prestigieux de la fonction qui a entrainé une inflation de candidatures douteuses, le vote de cette année semble faire fi de ce code de bonne conduite. Il y a d'abord la candidate de la France qui pose problème. Outre le fait d'avoir été annoncée dans un contexte confus qui caractérisait la fin de mandat de François Hollande, cette initiative n’a aucune chance d’aboutir. En effet, il est établi dans la pratique diplomatique multilatérale que l’État qui accueille le siège d’une organisation onusienne ne désigne généralement pas de candidat pour ne pas prêter le flanc à la critique du favoritisme. Même si certains mettent en avant sa filiation avec l'un des conseillers les plus écoutés du roi du Maroc, l'ancienne ministre Audrey Azoulay sera donc à coup sûr éliminée de la course. En ce qui concerne le candidat chinois, nul doute que le bilan peu glorieux de son pays en matière de respect des droits de l'homme écarte toute possibilité pour lui de remporter le scrutin. Après la défection du candidat guatémaltèque, les représentants du Vietnam et de l'Azerbaïdjan semblent eux aussi en mauvaise posture. Les deux pays ne bénéficient en effet pas de réseau solide sur le plan international et n’ont pas présenté de projet suffisamment ambitieux pour prétendre à diriger une structure d’un tel calibre.
La bataille intra-arabe
Restent donc les candidats du monde arabe. Ils sont quatre à concourir : l'Égyptienne Moushira Khattab, l'Irakien Salah al-Hasnawi, la Libanaise Vera el-Khoury et le Qatari Hamad al-Kuwari. La rivalité entre eux est rude car aucun pays ne souhaite se désister au profit d'un autre.
De notre point de vue, même si elle jouit de puissants atouts étant donné le rôle de pôle culturel qu’incarne l'Égypte dans le monde arabe, la candidate du Caire pâtit de la configuration politique dont elle est issue. Depuis le coup d'État de juillet 2013 et la dégradation particulièrement alarmante des libertés en Égypte, la perspective de placer à la tête de l’UNESCO la représentante d'un régime militaire relèverait du scandale planétaire. Pour ce qui est du candidat irakien, le délabrement de l'appareil d'État à Bagdad et les risques de dislocation du pays suite au dernier référendum dans le Kurdistan mettent l'ancienne Mésopotamie hors-jeu. Reste donc le duo libano-qatari qui semble être le ticket final le plus probable.
Il est indéniable que la représentante du Liban dispose de nombreux mérites. Polyglotte, diplomate à l'UNESCO depuis plus de 20 ans, celle qui enseigne aussi à La Sorbonne connait bien les rouages de l'institution. Son programme présenté au cours de son audition témoigne aussi d'une volonté de recentrer les efforts de la structure dans le sens d'un renforcement du dispositif éducatif dans les pays pauvres. Seulement, ses relations notoires avec le sulfureux homme d'affaires libano-nigérian Gilbert Chagoury jettent le trouble sur son intégrité. Déjà condamné par la justice suisse pour des affaires de blanchiment d'argent, l'homme est à la tête d'un empire financier qui lui permet d'acheter des allégeances et de jouer le rôle peu glorieux d’argentier de l’ombre du pays du Cèdre. Il n’est donc pas sûr que les délégués du comité exécutif décident de confier à Vera el-Khoury les clés de l’organisation sauf à prendre le risque de voir leur vote être entaché de lourds soupçons.
Reste le choix de Hamad al-Kuwari. En sa défaveur, il faut dire que l’homme n’est pas aidé par la conjoncture actuelle dans la région du Golfe. Subissant un sévère blocus depuis le 5 juin, le Qatar fait l’objet d’une attaque en règle de ses voisins dont on imagine qu’ils s’activent en coulisse pour faire avorter la candidature qatarie. De même, la réputation peu flatteuse de l’émirat sur la scène mondiale et les accusations lancinantes de financement du terrorisme risquent de dissuader certains à sauter le pas. Mais en dépit de ces obstacles, l’ancien ministre de la Culture peut se targuer d’un solide dossier. Francophile et francophone, l’homme de 69 ans a d’abord fait une campagne que beaucoup jugent réussie, multipliant les voyages à l’étranger et mettant à profit sa longue expérience dans le domaine tractations multilatérales (il a occupé le poste de vice-président de l’Assemblée générale des Nations unies). Son projet pour l’UNESCO est également ambitieux ; outre une volonté de redonner une nouvelle vie au siège de l’organisation situé place Fontenoy à Paris, il projette aussi de lancer une forme de « Davos culturel ». Pensé comme un espace de rencontres devant susciter des synergies entre les différents acteurs du monde de l’éducation et de la science, l’événement aura pour but de parvenir plus rapidement aux objectifs du millénaire fixés par l’ONU. Prenant appui sur les différentes initiatives lancées par le Qatar dans le domaine de la scolarisation des enfants en zones sinistrées, Hamad al-Kuwari aura également à cœur de faire de la promotion de l’éducation, le meilleur rempart contre les idéologies sectaires qui font aujourd’hui le lit des organisations radicales. En ce sens, les chances du candidat du Qatar sont réelles. S’il l’emportait, il entrerait dans l’histoire comme le premier diplomate arabe à prendre la tête d’une des organisations les plus emblématiques de la scène internationale.