Cela a été un sujet de polémique récurrent depuis que l’émirat s’est vu confié ce Mondial le 2 décembre 2010 à Zurich. Parmi les premières critiques qui ont été adressées face à ce choix qui apparaissait incongru pour certains, se trouve la question de la pertinence d’un pays où les températures peuvent grimper en été jusqu’à 45°C. Pour anticiper cette levée de boucliers, le Qatar avait dès son dossier de candidature fait preuve d’imagination en proposant des stades climatisés. Pionnier dans cette technologie qui permet déjà au stade Khalifa Stadium de Doha de fonctionner avec un système de refroidissement, le Qatar souhaite aller plus loin pour atténuer les effets de la canicule. Au cours de ces dernières années, d’autres idées futuristes ont germé auprès des ingénieurs tels la mise en place de nuages artificiels au-dessus des stades. Mais si techniquement, l’ensemble des options sont sur la table et ne devraient pas être impossibles à mettre en place, c’est surtout la question du mode d’approvisionnement en énergie qui pose problème. Tristement célèbre pour occuper la place de premier pays pollueur de la planète par habitant, le Qatar s’est récemment engagé dans une politique volontariste de réduction de son empreinte écologique. Avec la boulimie d’énergie que risque d’avaler les chantiers pharaoniques de la coupe du monde, l’émirat risque de passer à côté de ses objectifs de réduction de ses gaz à effets de serre. Tout est donc mis en place pour joindre les deux bouts et les plus grands ingénieurs et cabinets d’architectes sont recrutés dans ce sens.
Néanmoins, cette question du calendrier risque de susciter bien des mécontentements, au premier rang desquels les malheureux finalistes de l’attribution du Mondial 2022. Confronté aux Etats-Unis, à la Corée du Sud, au Japon et à l’Australie, le Qatar l’avait emporté sur la base d’un dossier qui prévoyait une compétition en été. Furieux d’avoir perdu face à un émirat qu’on accusait un peu facilement de n’avoir « aucune tradition footballistique », il y a fort à parier que les représentants de ces Etats vont monter au créneau pour demander un nouveau vote ou réclamer des compensations. L’Australie a notamment jamais fait mystère de son indignation et insiste désormais pour obtenir réparation.
Ce n’est pas le moindre des problèmes. En plus du courroux de certains Etats, le mécontentement s’exprime aussi de la part des autres disciplines sportives. En effet, organiser pour la première fois de son histoire une coupe du monde de football en hiver bousculera les habitudes, et pourrait même créer un embouteillage d’évènements sportifs avec le chevauchement des Jeux olympiques d’hiver. Cette perspective d’une quasi concomitance des deux compétitions sportives les plus mondialement médiatisées n’enchantent pas du tout le président de la fédération internationale de ski qui a très clairement fait savoir son opposition à un Mondial à l’hiver 2022. De même, certains annonceurs redoutent que le déplacement du tournoi n’entache l’impact médiatique de celui-ci. La période estivale, combinée dans de nombreux pays avec celle des vacances, est en effet davantage propice à la consommation et au marketing sportif. La déplacer en hiver revient à tester quelque chose qui ne s’est jamais fait avec un risque non négligeable de perte d’audience.
Cependant, il est aussi à notre que le malheur des uns peut faire le bonheur des autres. Depuis de nombreuses années, la réflexion sur un changement de calendrier des championnats européens est en cours. Certaines fédérations verraient en effet d’un bon œil une année s’étalant sur le calendrier civil avec une rupture au cœur de l’hiver, là où les températures glaciales n’incitent pas aller au stade. Ceci dit, le monde du football (notamment européen) n’est pas unanime sur le sujet, ce qui explique la lenteur et parfois la complication des discussions sur le sujet.
Mais, à notre sens, deux conclusions sont à retenir du propos de Jerôme Valcke. Il y a d’abord cette nouvelle cacophonie au sommet de la FIFA qui ne grandit pas l’institution et démontre que le Qatar 2022 est peut-être l’otage d’une sourde rivalité entre les responsables du football mondial. Jim Boyce, qui n’est autre que le vice-président de la FIFA, a vertement séché son collègue en affirmant qu’il « était complètement choqué » de cette sortie. Quelques minutes plus tard, la FIFA faisait part d’un communiqué où elle rappelait que cette question du calendrier du Mondial 2022 faisait toujours l’objet d’une consultation avec l’ensemble des parties concernées (tant les fédérations, les ligues que les sponsors), et qu’aucune décision ne pouvait être prise avant décembre 2014, date d’une réunion du comité exécutif qui tranchera la question.
L’autre élément qui transparaît de cette histoire est que le Mondial 2022 est devenu un véritable marronnier. De notre point de vue, il ne faudrait pas écarter du champ de l’analyse un certain nombre d’enjeux qui n’ont parfois pas grand-chose à voir avec l’esprit du football. La Coupe du monde de football au Qatar est d’ores et déjà la plus chère de l’histoire, et ce sont des dizaines de milliards de dollars qui ont été investis pour mettre le pays en ordre de marche. En coulisses, il est fort probable que certains ont compris l’intérêt de faire monter les enchères pour demander des réparations à un Etat qui, en plus de crouler sous les excédents financiers, fait tout pour lisser son image et éviter les scandales. En ce sens, maintenir une forme de pression autour de ce tournoi peut signifier pour certains acteurs la possibilité d’exiger des compensations que l’émirat pourrait s’empresser de régler. A ce rythme, et l’année 2013 le confirme, le Qatar est devenu un sujet explosif qui permet non seulement de vendre du papier mais ouvre une « fenêtre des réparations » dans laquelle certains auront peu de scrupules à s’engouffrer.
Tribune également publiée sur le site Le Plus-Nouvel observateur : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1121256-foot-la-coupe-du-monde-2022-au-qatar-en-hiver-un-sujet-explosif-et-surtout-rentable.html
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