Il fallait s'y attendre car depuis plus d'un an, son cas mobilise de nombreux médias (notamment audiovisuels) choqués de voir un joueur français détenu "en otage" au Qatar.
Un traitement révoltant et indigne
Rappelons d’abord quelques fondamentaux. Le parcours du combattant qu'a subi le sportif est révoltant et son traitement par les autorités qataries indigne. Interdit de rentrer en France du fait d'un sombre différend avec son ancien employeur, Zahir Belounis a fait les frais du système pervers de la Kafala.
Commun, avec quelques variantes, à l'ensemble des pays du Golfe, ce système maintient le travailleur étranger sous la tutelle de son patron. De ce rapport de subordination découle un certain nombre d'abus qui sont loin d’être rares. L'employeur peut confisquer le passeport du travailleur pendant toute la durée de son séjour et cela peut même aller jusqu'au non-versement de salaires.
En ce qui concerne la sortie définitive du pays, un visa de sortie (exit visa) est nécessaire que, là encore, seul l'employeur peut délivrer. C'est ce sésame indispensable que Zahir a mis 17 mois à obtenir.
Même si le cadre législatif qatari est largement suffisant pour éviter de tels dérapages, force est de constater que la situation est loin d'être optimale. Ce qu'il faudrait pour corriger ces manquements serait d'augmenter substantiellement le nombre de contrôleurs du travail. C'était d'ailleurs l'une des recommandations de la mission syndicale internationale qui a visité le Qatar en octobre dernier.
Sur ce point, il semblerait que quelques pas en avant aient été entrepris par les autorités puisqu'une quinzaine de nouveaux postes ont été ouverts suite à la visite de la délégation.
Un moyen d'égratigner l'image du Qatar ?
Au delà des critiques légitimes que l'on doit formuler à l'égard des manquements aux droits de l'homme dans l’émirat (condition des ouvriers, arrestation du poète, etc.), ce qui ressort de la campagne médiatique autour de l'affaire Belounis est qu'il est parfois difficile de faire la part des choses dans la propension de quelques médias à en faire un sujet de polémique récurrent.
Certes, une grande partie des journalistes a fait un remarquable travail d'information voire de pression qui a joué un rôle non-négligeable dans la libération du joueur. Néanmoins, il semble opportun de questionner quelques angles morts de l'imposante couverture médiatique dont le cas Belounis a fait l'objet.
Car l'hyper-focalisation de certains nous laissent penser que derrière les prétextes commodes de la défense d'un Français bloqué dans un État autoritaire se cache parfois des enjeux inavoués.
À cet égard, le cas de la chaîne Canal Plus est intéressant car elle illustre grandement notre propos. Depuis l'an dernier, le groupe a réalisé plusieurs reportages sur les cas de Français bloqués au Qatar. Cette inflation éditoriale peut difficilement s'expliquer par le seul penchant humaniste de la direction.
En effet, il faudrait d'après nous mettre en perspective cette focalisation à la lumière de la sourde concurrence qui oppose la chaîne cryptée à sa grande rivale BeIN Sport financée... par le Qatar. On peut donc formuler l'hypothèse que la mobilisation des équipes de Canal répondait aussi à une volonté d’égratigner l'image du bailleur de fonds de sa grande rivale.
D'autant que Canal n'a pas hésité ces derniers mois à exposer publiquement son aversion pour la filiale d'Al Jazeera Sport qu'elle accuse de "distorsion de concurrence" et contre laquelle elle a décidé de porter plainte.
Le fait de surfer sur l'affaire Belounis comme sur le cas d’autres Français retenus au Qatar constituerait donc une forme d'"aubaine" et de fenêtre de tir pour régler des comptes avec une concurrente qui n’en finit pas de grignoter des parts de marché dans la diffusion des droits télévisés sportifs.
Derrière la médiatisation de l'affaire, une logique commerciale
Notre hypothèse ne semble pas dénuée d'intérêt car l'épreuve des faits nous démontre de curieuses coïncidences. Le premier épisode du nouveau programme "Enquêtes de foot" de Canal Plus Sport, le jeudi 16 octobre, portait sur le Qatar.
Là encore, c'est un reportage sur le cas Belounis et les "otages" qui avait été diffusé et pour enfoncer le clou, l'un des chroniqueurs s'est longuement attaché à présenter les différents méfaits de l'émirat dont on appréciera l'intérêt sportif : "application de la Charia", "pas d’élections" (ce qui pour ce deuxième point est une erreur factuelle).
Au même moment, c'est Bernard Henri-Lévy qui volait au secours de la chaîne avec une plaidoirie différente mais qui visait le même objectif. D'après l'écrivain régulièrement invité sur le plateau du "Grand journal", l'intrusion du Qatar dans le champ audiovisuel menacerait l'équilibre financier de la chaîne cryptée ce qui devrait, par ricochet, mettre en péril la production cinématographique française.
Il ne faut pas être devin pour imaginer que le tir de BHL faisait partie d'une stratégie dont l'objectif était de "pilonner" BeIN Sport (et donc le Qatar) puisqu'au même moment un conseiller de Canal Plus avait plaidé pour présenter BeIN comme "une chaîne islamiste".
C'est donc tout un dispositif qui semble avoir été mis en place depuis quelques temps afin d'utiliser le cas Belounis dans un plan plus vaste qui, in fine, détourne l'affaire du jeune sportif au profit d’un agenda commercial.
Le deux poids deux mesures des médias
Le dernier argument qui nous pousse à défendre cette position est le deux poids deux mesures auquel nous assistons dans le traitement des sportifs retenus à l'étranger. À son arrivée à l'aéroport de Roissy, Zahir Belounis a été accueilli par des dizaines de journalistes français et étrangers.
Ce qui dérange légèrement, c'est que lorsque le footballeur palestinien Mohamed Sarsak avait été emprisonné en Israël, peu de journalistes français en avaient fait mention. Ceux qui aujourd'hui font feu de tout bois sur le cas Belounis se sont étrangement cantonnés dans un silence complaisant s'agissant du gardien de football palestinien. Il en fut de même pour le cas de Salah Hamouri, ce jeune français détenu en prison en Israël pendant sept anssur la base d'un dossier vide.
Sur ces deux affaires qui relevaient du véritable scandale, peu de journalistes n’ont daigné relever les atteintes répétées au droit et à la pratique du sport. Pourtant, la situation de Sarsak et de Hamouri était bien pire que celle de Belounis.
Quand les deux premiers étaient embastillés dans des conditions indignes (Sarsak a été torturé et a frôlé la mort), Zahir Belounis pouvait, malgré son blocage au Qatar, donner des dizaines d'interviews, jouer avec ses enfants et apparaître lunettes de soleil au volant de sa voiture. Sans vouloir minimiser sa souffrance, on a connu pire comme "calvaire". Et c'est pourtant le cas Belounis qui a monopolisé bon nombre de médias quand ceux de Sarsak et de Hamouri avaient passablement été négligés.
Ces condamnations sélectives nous poussent à croire qu'une certaine équation non dite mais bien assimilée structure en partie le traitement journalistique. Taper sur le Qatar peut médiatiquement s'avérer rentable. Mais pointer du doigt Israël reste politiquement trop risqué. Comme l'affaire Belounis n'est pas prête de s'arrêter (ce dernier annonce vouloir publier un livre), il est probable que beaucoup s'en saisiront pour rebondir sur le Qatar.
À ce jeu-là, il faut noter que Canal Plus n’est certainement pas la seule chaîne à se frotter les mains. En plus de faire vendre et de donner la fièvre, le Qatar présente aussi le délicieux intérêt d'occuper l'espace médiatique. Ce qui doit arranger pas mal de monde.