Proposant des analyses provenant de spécialistes du monde entier, le Centre d’Al Jazeera fait partie, avec le Brookings Doha Center et le Arab Center for Researches and Policies Studies dirigé par l’intellectuel palestinien Azmi Bishara, des trois principaux centres de réflexion de la capitale qatarie.
Au delà des divers ateliers qui ont jalonné l'évènement (comme la plateforme destinée à la jeunesse « Youth Platform », le symposium sur la « Révolution Youtube dans le monde arabe » ou le séminaire sur « Les changements de la diplomatie turque et ses implications dans la région »), le forum a exprimé de manière implicite les interrogations qui taraudent le groupe qatari. Plus de trois ans après le début du « Printemps arabe », la chaîne s'interroge sur la manière avec laquelle elle a couvert ces révoltes. Du fait de sa tonalité très en pointe au départ, Al Jazeera a indéniablement joué un rôle majeur dans l'effondrement de certains régimes, ce qui l’a propulsé au firmament de sa popularité. Mais cette période de mise à bas des dictatures a laissé place à une inversion des perceptions dont on peut dater l’émergence avec l'offensive de l’OTAN en Lybie. Adoptant une ligne éditoriale dans le droit fil de la diplomatie de son bailleur de fonds, le groupe a commencé à faire l'objet de sévères critiques. La couverture de la crise syrienne n'a fait qu'amplifier ce rejet d'une partie de l'opinion arabe pour une chaîne qui était auparavant considérée comme une référence.
Ces questionnements face à une couverture trop partisane sont perceptibles auprès de certains responsables. Elles ne sont pas uniquement le fait du groupe. C'est l'ensemble de l'édifice diplomatique qatari (dont Al Jazeera est un instrument majeur) qui semble se remettre en cause. Certes, les fondamentaux de la politique étrangère de l'émirat ne vont pas radicalement changer. La défense du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes restera l'un des axes centraux. Plus que d’un changement de fond, il faut s’attendre à une poursuite de la modification dans la forme qui, contrairement à l’époque du Cheikh Hamad, prend davantage une tournure pondérée depuis l’accession du nouvel émir. Engagé dans une posture offensive, notamment sur la crise syrienne, le Qatar semble dorénavant à se positionner vers une solution diplomatique qui ménage l'ensemble des forces régionales. Des récents contacts plus ou moins directs avec l'Iran ou les différentes factions libanaises (dont le Hezbollah) indiquent ce souhait de revenir à une démarche qui fasse du dialogue le canal privilégié de règlement des conflits. Mais cette nouvelle orientation doit se faire en douceur sans donner l'impression d'un revirement brutal qui sonnerait comme un reniement. En ce sens, Al Jazeera, dont la couverture de l'information reste essentiellement occupée par les cas syrien et égyptien, continuera à soutenir explicitement les aspirations de ces deux peuples à se libérer du joug de leur dictateur. C'est en substance, ce qu'a souligné le directeur du groupe Mustapha Souag dans son allocution inaugurale en rappelant cette volonté de donner aux peuples la possibilité d'exprimer leurs revendications et ce, dans le respect du pluralisme d'opinions. Cette vision continue à pousser la chaîne à dénoncer le coup d’Etat militaire égyptien et à vilipender l’entreprise de répression féroce menée par les forces de Bashar Al Assad. Mais cette couverture engagée continue de se mener en respectant scrupuleusement le leitmotiv de la chaîne « L’opinion et son contraire ». C’est la raison pour laquelle la chaîne met quotidiennement face-à-face des intervenants aux avis diamétralement opposés jusqu’à convier dans ses locaux des partisans du coup de force égyptien ou des laudateurs du dictateur syrien.
Enfin, le panel des invités montre aussi combien la chaîne compte maintenir le lien privilégié avec ceux qui sont sortis, au départ, vainqueurs des printemps arabes. Après l'allocution du directeur du groupe, c'est le vice-Premier ministre turc Bulent Arinç qui a pris la parole suivi par l'ancien Premier ministre tunisien et membre d'Ennahda Ali Laereyedh De même, de nombreux leaders de la Coalition nationale syrienne sont présents comme Souheir Al Atassi, Georges Sabra ou Abdulbaset Sieda. Dans le même temps, des responsables iraniens et russes ont fait le déplacement, ce qui prouve que conformément à sa doctrine, le forum se veut un espace d'échanges avec l'ensemble des acteurs du Moyen-Orient. Même ceux qui pourraient être assimilés aux adversaires de l'émirat.