#FreeAJStaff : Les journalistes d’Al Jazeera English libérés

jeudi, 12 février 2015 23:37

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Jeudi 12 février, un tribunal pénal égyptien a ordonné, lors d'un nouveau procès, la libération des deux journalistes d'Al Jazeera emprisonnés depuis 411 jours. La remise en liberté de l'un des deux prévenus, le Canadien Mohamed Fahmy a été obtenue en échange d'une caution de 29 000 euros. Ils devront néanmoins comparaître devant le tribunal le 23 février. 

Un tribunal pénal égyptien chargé de rejuger les deux journalistes d'Al Jazeera English emprisonnés depuis 411 jours, a ordonné leur remise en liberté dans une affaire qui avait déclenché un tollé international. Ils avaient été condamnés, le 23 juin 2014, lors d’une parodie de procès à des peines de 7 à 10 ans de prison ferme pour « soutien au terrorisme », « diffusion de fausses informations », et « atteinte à la sécurité nationale ». La Cour de cassation avait annulé ces condamnations en janvier dernier et ordonné un nouveau procès, en précisant que la procédure initiale était marquée par des violations des droits de la défense. Une affaire qui avait sérieusement mis les autorités égyptiennes dans l'embarras.

Les deux accusés vêtus du traditionnel uniforme de prisonnier, se trouvaient dans le box vitré, les empêchant de s’exprimer. Un procureur a alors énoncé les chefs d'accusations qui pèsent contre les journalistes arrêtés le 29 décembre 2013 au Caire et accusés d'avoir "falsifié des informations" pour soutenir les Frères musulmans que les autorités égyptiennes considèrent désormais comme une organisation "terroriste".

Suite à la décision du tribunal, Baher Mohamed a immédiatement écrit « JE SUIS LIBRE » sur son compte Twitter. «Je vais continuer à lutter pour la liberté d'expression, et je ne vais pas faire marche arrière», a-t-il dit une vidéo publiée par Al Jazeera.

Le journaliste égypto-canadien Mohamed Fahmy a été remis en liberté en échange d'une caution de 250.000 livres égyptiennes (environ 29.000 euros) tandis que son collègue égyptien Baher Mohamed a été remis en liberté après un engagement à comparaître pour le reste du procès, dont la prochaine audience a été fixée au 23 février. A cela, il faut ajouter que libération n’a été effective que vendredi 13 février en fin de journée et que les journalistes devront se signaler tous les jours auprès d’un bureau de police.  

L'avocate des droits de l'homme Amal Clooney, qui représente Fahmy, a averti que « rien ne garantit que l'affaire sera clôturée ou que les journalistes seront acquittés ».

Mohamed Fahmy possède aussi la citoyenneté canadienne, Amal Clooney a insisté pour que son expulsion soit exécutée de la même manière que pour Peter Greste. Elle a demandé au premier ministre canadien d’"intervenir personnellement" pour faire pression sur les autorités égyptiennes afin qu’elles appliquent le décret récemment approuvé qui donne au président égyptien le droit d'expulser les étrangers qui sont soit en instance de jugement ou qui ont été condamnés.

Cette décision de justice intervient après l'expulsion de l'Australien Peter Greste qui avait été condamné avec ses confrères, après avoir passé 400 jours en prison. Ce dernier a quitté l'Egypte le 1er février en vertu du décret présidentiel. Il n’est pas exclu qu’il soit condamné par contumace, même s'il a été expulsé en toute légalité par les autorités.

Mohamed Fahmy a, quant à lui, été contraint de renoncer à sa nationalité égyptienne dans l'espoir d'être expulsé sur la même base juridique que Peter Greste. "Je n'ai pas choisi de renoncer à ma nationalité égyptienne, un responsable de la sécurité m'a rendu visite et m'a demandé d'abandonner ma nationalité parce que l'Etat veut se débarrasser de cette affaire qui a tourné au cauchemar", a affirmé Mohamed Fahmy, agitant un drapeau égyptien à la fin de son allocution. Il souffre également d’une hépatite C provoquée par une blessure à l’épaule causée par son arrestation.

Al Jazeera a salué cette décision comme « un petit pas dans la bonne direction. Le but est que le tribunal prononce un verdict juste (…) en abandonnant ces charges absurdes et en libérant ces deux bons journalistes de manière inconditionnelle».

Une mobilisation mondiale

Cette affaire a provoqué un tollé international et a été largement relayé sur les réseaux sociaux pour dénoncer cette atteinte à la liberté de la presse.

Une violation de la liberté d’information critiquée par Amnesty internationale et Reporter sans frontière (RSF) : “Nous exhortons le président Sissi à gracier les journalistes d’Al-Jazeera qui ne sont pas coupables des chefs d’accusation portés contre eux et qui exerçaient uniquement leur métier au moment de leur arrestation", a déclaré Lucie Morillon, directrice des programmes de Reporters sans frontières. "Cette condamnation arbitraire illustre parfaitement la politique répressive du régime à l’encontre des médias étrangers et locaux, soupçonnés de liens supposés ou réels avec les Frères musulmans. Les journalistes ne doivent pas être pris à parti et devenir victimes du système au nom de la lutte contre le terrorisme.” a-t-elle ajouté. La situation de la liberté de la presse est très inquiétante en Egypte, qui est considérée comme l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes en 2014. Le pays figure à la 159ème place sur 180 du Classement 2014 sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.

De son côté, la chaîne Al Jazeera n'a eu de cesse de dénoncer la dimension "politique" de l'affaire. Cette pomme de discorde est en partie l'une des raisons qui explique le froid diplomatique entre le régime putschiste d'al-Sissi et le Qatar qui a soutenu la confrérie des Frères musulmans dont il est utile de rappeler qu'elle est arrivée au pouvoir suite à ses succès électoraux.

Une libération qui n’est pas anodine  

Plusieurs observateurs ont souligné que Le Caire voulait mettre fin à cette affaire et aux nombreuses critiques qu’il a essuyées venant notamment de ses alliés de Washington et de Londres. Cette décision arrive à l’approche d'une grande conférence économique qui se tiendra le mois prochain au Caire destinée à attirer les investissements internationaux. Le mois de mars coïncidera également avec le déroulement d’élections législatives échelonnées en Égypte, événement qui sera couvert par de nombreux médias étrangers. Le but de cette libération est de montrer patte blanche vis-à-vis de la communauté internationale et de faire oublier cette épineuse affaire. 

Enfin, il est à noter que cette libération, dont le procès n’était pas attendu avant plusieurs semaines, intervient suite aux différentes fuites, quelques jours auparavant, de propos tenus par le président al-Sissi et son chef de cabinet Abbas Kamil dans lesquels, il a exprimé des paroles méprisantes à l’égard des Etats du Golfe et ce en dépit de leur aide financière. Mais c’est le Qatar qui était la principale cible de mépris et de brimade. Selon Abbas Kamil, l’émir du Qatar posséderait “un compte en banque de plus de 900 milliards de dollars”. Cette phrase est accompagnée d’une insulte que la décence ne nous permet pas de retranscrire dans cet article. Des propos qui pourraient compromettre le rapprochement entre Doha et Le Caire initié le 22 décembre dernier. 

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