Son propos ne visait pas uniquement les manifestations qui pourraient déboucher sur des violences mais également toute mobilisation pacifique dans la rue. En affirmant que ces manifestations sont des "activités démagogiques et inutiles", le religieux n'a fait que se placer dans la lignée de la tendance "salafie littéraliste" qui a toujours considéré ces manifestations comme contraire à la législation islamique. Le propos du Mufti faisait d'ailleurs suite à celui du Cheikh Salah Al Luhaydane, président de la Haute cour de justice saoudienne, qui lui aussi mettait en garde contre le caractère illicite des manifestations pour Gaza. Les deux oulémas privilégient, à la place des manifestations "qui écartent les gens du rappel de Dieu", la voie des dons et des invocations en faveur des Palestiniens.
86 religieux saoudiens appellent à soutenir Gaza
mercredi, 06 août 2014 14:14Alors que le Mufti d'Arabie saoudite, la plus haute autorité religieuse du royaume wahhabite, a appelé à ne pas participer à des manifestations pour Gaza, des dizaines de personnalités religieuses du pays lui répondent. Cette querelle met en évidence la ligne de fracture idéologique au sein de l'islam saoudien.
Il y a quelques jours, le Mufti d'Arabie saoudite, le Cheikh AbdElaziz Al Cheikh, a émis une fatwa (décret religieux) mentionnant le caractère illicite des manifestations en faveur de Gaza.
Ces prises de position sont surtout l'expression des oulémas de l'establishment saoudien qui, comme à leur habitude, relaient en des termes religieux, les préoccupations de l'Etat. Symboles de "l'islam d'Etat", ils ont accès aux médias officiels et sont naturellement mis en avant par les autorités politiques (en Arabie comme dans d'autres pays arabes), mais sont très souvent en décalage avec le reste de la société. Dans une contribution mise en ligne hier et relayée par d'autres médias arabes (dont la chaîne Al Jazeera), 86 autres religieux saoudiens ont rédigé un appel prenant le contrepied des paroles du mufti. Sans appeler ouvertement à la tenue de manifestations dans le royaume, ils ont clairement évoqué leur soutien à la résistance palestinienne et à l'impératif religieux de se tenir aux côtés des Gazaouis. Mieux, le texte dénonce également l'asphyxie du peuple de Gaza et appelle les autorités égyptiennes "à ouvrir le poste-frontière de Rafah" afin de soulager la détresse des habitants. Dans une allusion à peine voilée au régime égyptien dont la collusion avec l'agression israélienne est connue, les religieux ont dénoncé ce qu'ils estiment être "la marque d'une traîtrise de la part des sionistes arabes". Le propos, très dur à l'encontre des gouvernements de la région qui ont d'une manière ou d'une autre relayé l'offensive israélienne, est suffisamment fort pour être souligné; en effet, rares sont les moments où en Arabie saoudite, autant de personnalités religieuses prennent une telle position qui ne va pas du tout dans le sens des options diplomatiques du gouvernement. En effet, malgré les déclarations tardives du roi d'Arabie saoudite qui, le 1er août, a dénoncé le silence "inexcusable" de la communauté internationale face au carnage de Gaza, la réalité de la politique de Riyad dans la région ne fait pas de doute. Engagé dans une guerre ouverte avec les Frères musulmans, le royaume n'a jamais fait mystère de son hostilité envers le Hamas, représentant de la confrérie en Palestine. Le fait que le texte de ces oulémas intervienne au lendemain de la fatwa du mufti n'est certainement pas dû au hasard ; on imagine en effet le tollé provoqué à l'intérieur de pans entiers de la société saoudienne suite à cet appel d'interdire les manifestations alors que Gaza était plongée sous un fracas de bombes.
Cette querelle religieuse entre les deux tendances de l'islam saoudien est d'une grande portée car, terre des lieux saints, l'islam saoudien garde une influence considérable dans l'espace de sens du monde musulman. Signé par des personnalités reconnues dans le monde arabe comme Nasser Souleymane Al Omar, Fawzane ben Abdallah Al Fawzane ou encore Ali Ben Said Al Ghamidi, ce texte rejoint la prise de position d'autres pays de la région du Golfe comme le Qatar, émirat dans lequel le bureau politique du Hamas s'est réfugié.
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