Pourquoi sept membres des Frères musulmans quittent-ils le Qatar?

samedi, 13 septembre 2014 13:58

Egypte QatarSept membres influents de l’organisation des Frères musulmans égyptiens ont été priés de quitter le Qatar. Cette annonce arrive dans un contexte de crise politique qui redistribue les cartes dans la région du Moyen-Orient.

L’information a été divulguée par Amrou Darrag, membre influent de la confrérie et ancien ministre de la Coopération internationale à l’époque de la présidence de Mohamed Morsi.

Dans une déclaration publiée sur sa page Facebook, il révèle que « sept membres du parti de la Justice et du Développement ainsi que de l’organisation des Frères musulmans ont accepté de changer leur domiciliation et de quitter le Qatar ». Les personnes en question sont Mahmoud Hussein (l’actuel Secrétaire général de la confrérie), Wagdi Ghneim (membre éminent de l’organisation et prédicateur influent), ‘Issam Talima (Ouléma sorti d’Al Azhar) ainsi que plusieurs hauts cadres du Parti de la Justice et du Développement (organe politique de la confrérie) tels que Jamal Abdelsattar, Ashraf Baderdine, Hamza Zouba, et Amrou Darrag. En ce qui concerne Wagdi Ghneim, ce dernier a également publié une vidéo dans laquelle il affirme vouloir quitter le Qatar de son propre gré tout en prenant soin de remercier l’émirat pour les efforts déployés dans la défense des droits des peuples du monde arabe.

Ce qui est intéressant d’analyser dans ces propos est la manière avec laquelle ce départ du Qatar est qualifié. Qu’il s’agisse du message Facebook de M. Darrag ou de la vidéo de Wagdi Ghneim, il n’est jamais fait question d’un quelconque départ précipité voire d’une mesure de rétorsion du Qatar qui aurait brutalement décidé de les expulser. Ce qui est mis en évidence, c'est d’abord le fait de remercier l’émirat pour toute l’aide apportée à la révolution égyptienne, particulièrement depuis le coup d’Etat de juillet 2013 et l’entreprise de répression consécutive qui a visé les opposants au putsch. L’émirat a, en effet, constamment relayé les doléances des millions d’Egyptiens qui se mobilisent jusqu’à aujourd’hui pour revenir à la légalité constitutionnelle en exigeant le retour du président démocratiquement élu Mohamed Morsi. Mais les intéressés notent également que les circonstances actuelles marquées par la guerre froide qui oppose le Qatar à ses voisins fait peser sur Doha une pression difficilement supportable. Cette pression se voit doublée par le fait que l’émirat est mis à l’index pour d’éventuelles accusations de soutien aux groupes jihadistes. Le départ des sept membres est présenté comme un geste de bonne volonté ou, à tout le moins, de compréhension afin de faciliter la tâche à un petit Etat qui peut difficlement supporter le poids d'un bras de fer qui lui met à dos une bonne partie de son entourage.

Il est aussi à noter que depuis quelques semaines, les coulisses de la diplomatie régionale s’activent pour mettre un terme à la brouille qui mine le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Le mois dernier, une importante délégation saoudienne (conduite par le ministre des Affaires étrangères) avait visité l'émir du Qatar dans le but d’aplanir les différends et de faire revenir à Doha les ambassadeurs de l'Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et du Bahreïn qui ont quitté la capitale qatarie en mars dernier. Il ne fait guère de doute que, puisque la crise égyptienne est au cœur des différends qui clivent ces monarchies, ce départ de plusieurs figures des Frères musulmans doit être considéré comme un geste du Qatar destiné à donner des gages de volonté. Le "timing" d'une telle annonce, qui intervient après les intenses ballets diplomatiques qui se sont succédés ces derniers temps (notamment en Arabie saoudite) plaide aussi en ce sens.

Il est encore trop tôt pour dire si cette affaire préfigure un basculement de politique de Doha vis-à-vis de l'organisation égyptienne. De notre point de vue, elle ne devrait pas fondamentalement remettre en cause l'axe majeur de la diplomatie de l'émirat vis-à-vis des forces politiques proches de la mouvance des Frères musulmans car ces dernières bénéficient encore en Egypte, en Tunisie ou en Turquie d'un soutien populaire de taille. Ce qui devrait changer, ce sont les priorités immédiates de l'agenda diplomatique qatari qui est aujourd'hui, à l'unisson de ses voisins, préoccupé par la descente aux enfers de la situation irakienne. Dans un contexte de crise régionale où la principale menace pour la stabilité de la région semble être les avancées de l'Etat islamique en Irak et en Syrie, les monarchies du Golfe souhaitent ressouder leur alliance face à un ennemi commun. L'Union sacrée symbolisée par la participation des monarchies à la coalition emmenée par les Etats-Unis illustre ce rapprochement de points de vue. Cette concordance d'éléments devrait vraisemblablement ouvrir la voie, comme l'a récemment signalé le ministre omanais des Affaires étrangères, à un retour des ambassadeurs des trois voisins du Qatar.

L’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, principaux bailleurs de fonds du régime putschiste égyptien, ont déclaré la guerre aux Frères musulmans qu’ils accusent d'entrisme et de volonté de noyauter les systèmes étatiques de la région. En plus de leur hostilité à tout processus démocratique dans le monde arabe qui pourrait dangereusement faire tâche d'huile à l'intérieur de leurs frontières, ces deux monarchies voient d’un très mauvais oeil le fait que les Frères musulmans constituent, dans l’espace sunnite, la seule organisation capable de proposer un modèle alternatif à l’islam officiel qu'elles prônent. De son côté, même si Doha prend quelques distances avec la confrérie, le courant n'est pas totalement rompu. Non seulement, le Cheikh Youssef Al Qaradawi (contrairement aux rumeurs régulières qui font état de son départ) reste à Doha mais la posture du Qatar dans la dernière offensive meurtière israélienne à Gaza démontre que le Hamas demeurera également encore longtemps un protégé des autorités de l'émirat.

Reste à savoir dans quel pays trouveront refuge les différentes personnalités qui quitteront Doha ces prochains jours. Selon toute vraisemblance, seule la Turquie voire la Malaisie pourront constituer des points de chute, sachant que la quasi totalité des pays de la région pourront difficlement les accueillir, pour des raisons internes ou suite aux pressions de Riyad et Abou Dhabi.

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