Retour en force
Ce réveil de Rabat s’est notamment vérifié dans deux directions, le terrain africain et l’espace arabe qui ont toujours constitué – en plus de l’interaction avec l’Europe - les deux domaines de prédilection de la diplomatie chérifienne. Sur le plan continental, Rabat a récemment opéré un retour en force en réintégrant l’Union africaine non sans avoir marqué des points en ralliant nombre d’Etats de l’organisation dans sa stratégie d’isolement du Front Polisario, l’ennemi juré qui revendique depuis des décennies l’indépendance du Sahara occidental. Sur le plan arabe, après avoir longtemps boudé les sommets de la Ligue arabe, le roi a tenu ces dernières années à renouer des liens forts avec certains « pays frères ». C’est en grande partie vers la région du Golfe que ce nouveau tropisme s’est illustré.
L’acte de naissance de ce recentrage se situe en avril 2016. Ce mois là, Mohamed VI fait un déplacement historique en Arabie Saoudite où il est l’invité d’honneur du sommet annuel du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Loin de faire de la figuration, le souverain fait un discours musclé où il réaffirme la souveraineté de son pays sur l’ensemble du territoire national (campant ainsi sur une ligne dure sur le dossier du Sahara) tout en mettant en garde les pays de la région sur le piège des divisions confessionnelles qui risquent d’embrasser tout le Moyen-Orient. Prolongeant son déplacement, il se rend successivement aux Emirats arabes unis, au Bahreïn et au Qatar en signant des dizaines de contrats portant sur des domaines aussi divers que la coopération agricole, la collaboration sécuritaire ou les télécommunications. Depuis, les échanges en tout genre entre Rabat et les différentes principautés du Golfe n’ont fait qu’augmenter. En plus de faire du royaume chérifien leur lieu privilégié de villégiature (le roi Salman et l’émir Tamim y sont régulièrement en vacances), le volume des échanges commerciaux entre les pays du CCG et le Maroc a bondi de plus de 100% en une décennie. Dans la région, ce sont les Emirats arabes unis qui arrivent en tête, se plaçant même en deuxième position après la France dans la liste des meilleurs partenaires avec une part de 13,4% des investissements directs étrangers (IDE) sur la période 2008-2015.
Endosser le rôle de médiateur
Il faut dire que pour les monarchies du Golfe, le Maroc constitue une terre d’opportunités ; sa stabilité politique, sa constante croissance économique (de l’ordre de 4 à 5% ces dernières années) et le caractère monarchique de son système de gouvernement sont vus comme autant d’atouts justifiant l’établissement d’une diagonale de complicité. C’est d’ailleurs ces solides fondamentaux qui ont poussé les pays du CCG à proposer à Rabat une quasi-adhésion à leur structure en 2011. Exprimée à un moment où les révoltes arabes faisaient craindre le pire pour les régimes en place, cette idée d’un front des monarchies face aux poussées populaires a finalement été abandonnée du fait de son incohérence géographique. Elle n’en exprimait pas moins toute la confiance que les capitales du Golfe manifestaient à l’égard d’un royaume qui reste bien apprécié depuis l’époque du roi Hassan II.
L’actuel déplacement de Mohamed VI se situe donc dans le prolongement de ce renforcement et vise principalement deux objectifs. Sur un plan strictement diplomatique, Rabat souhaite faire feu de tous bois pour glaner le plus de soutiens dans sa confrontation avec le Front Polisario et son parrain algérien considéré comme le grand rival. Même si le conflit entre les deux poids lourds du Maghreb n’enchantent plus une grande partie des opinions des deux pays qui y voient une dispute futile empêchant un véritable co-développement, les tensions restent vives comme l’atteste la dernière sortie d’un ministre algérien accusant les banques marocaines de blanchir l’argent du cannabis. Dans ce contexte houleux où, en plus, les relations avec les grands partenaires d’Europe (France, Espagne et Hollande) ne sont pas au beau fixe, Rabat souhaite disposer de puissants alliés de substitution. C’est sous ce prisme que le renforcement du partenariat stratégique avec les pays du Golfe est vu du coté chérifien et ce calcul semble d’autant plus probant que ces derniers n’ont jamais fait défaut lorsqu’il s’est agi de voter en faveur du royaume à l’ONU. Enfin, se rendre successivement aux Emirats arabes unis et au Qatar constituera pour Mohamed VI une occasion de plaider une réconciliation entre deux pays qu’aujourd’hui tout oppose. Alors que Rabat avait envoyé en vain son ministre des Affaires étrangères au cours de l’été pour appuyer la médiation koweitienne, le déplacement du chef d’Etat peut aussi être interprété comme une initiative destinée à tenter de sauver in extremis la face du CCG qui est plus que jamais au bord de l’implosion.