Questions autour de l’étrange événement sur la crise du Golfe parrainé par Rachida Dati au parlement européen

mercredi, 31 janvier 2018 13:08

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Jeudi 1er février se tiendra à Bruxelles une conférence traitant de la « Crise au sein du Conseil de coopération du Golfe et du financement du terrorisme ». Même si l’intention semble louable, le timing comme l’identité des organisateurs interrogent sur les réelles motivations de l’événement. 

Organisée par le Brussels International Center for Research and Human Rights (BIC), la conférence est parrainée par la députée européenne Rachida Dati. Sur le site de l’organisateur, on apprend qu’un membre du cabinet de Julian King, commissaire pour l’Union européenne à la sécurité et chargé de la lutte contre le terrorisme, figurera aussi parmi les intervenants. Jusqu’ici tout semble normal.

En effet, il est sain et utile que les instances communautaires se saisissent d’enjeux centraux qui préoccupent la géopolitique mondiale. D’autant qu’à notre connaissance, peu d’événements ont été organisés auprès de ces instances pour discuter sur le fond des ressorts de la crise qui clive dangereusement les pays arabes du Golfe.

Des organisateurs en trompe l’oeil

Le problème se situe lorsque l’on s’intéresse de plus près aux initiateurs de la conférence. Mentionnons d’abord que le BIC a moins d’un an d’existence et que, hormis quelques rapports, il ne dispose que de peu de ressources sur son site internet en matière de défense des droits de l’homme. Dans son organigramme, on apprend également que son directeur exécutif est Ramadan Abou Jazar. Or, ce lobbyiste belge d’origine palestinienne n’est pas totalement neutre puisqu’il était auparavant chargé de diriger l’antenne bruxelloise d’une obscure ONG norvégienne du nom de Global Network for Rights and Development (GNRD). Comme l’a démontré le journaliste Brian Whitaker du Guardian, cette structure fondée en 2008 et financée par des réseaux liés aux Emirats arabes unis a fait faillite en 2016 suite à des investigations de la police norvégienne qui avait identifié des transactions douteuses et autres malversations d’un montant de plusieurs millions d’euros.

Conscientes de l’instrumentalisation politique des activités du GNRD, les autorités du Qatar s’en étaient méfiées, ce qui avait poussé Doha à arrêter deux de ses agents en 2014 lorsque ces derniers étaient en repérage au Qatar. Se présentant comme « journalistes » souhaitant enquêter sur le sort des ouvriers étrangers, les deux hommes avaient alors fait appel à la presse internationale pour dénoncer la censure que l’émirat gazier aurait imposé à leur travail. La manœuvre avait en partie était couronnée de succès, certains médias occidentaux reprenant la version des "deux humanitaires" même si à l’époque, les connexions du GNRD avec Abou Dhabi n’avaient pas encore été dévoilées. Celles-ci devinrent évidentes lorsque le GNRD a été mandaté pour couvrir les différentes élections post-coup d’Etat en Egypte. A rebours de toutes les ONG de défense des droits de l’homme, l’officine avait en effet applaudi la tenue des différents scrutins de l’ère Sissi dont le régime ultra-liberticide est financé à bout de bras par les autorités émiriennes.

Le parlement de Bruxelles instrumentalisé ?

A la lecture de ces développements, on commence à mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’activité qui se tiendra le 1er février au parlement européen. En effet, plusieurs anciens du GNRD sont désormais des cadres du BIC qui organise l’événement à Bruxelles. En plus de Ramadan Abou Jazar, ancien responsable de l’antenne bruxelloise du GNRD qui est aujourd’hui le directeur exécutif du BIC, on remarque que Jean-François Fechino présenté sur le site internet comme le président du BIC est l’ancien patron de l’antenne suisse du … GNRD. Tout porte à croire que le BIC n’est donc que le nouveau visage, plus présentable et moins sulfureux, du GNRD. Et comme son prédécesseur, il semble à peu près certain que son bailleur de fonds est le gouvernement des Emirats arabes unis dont l’aversion pour le Qatar vire à l’obsession. Pour s’en convaincre définitivement, il y a aussi un autre signe qui ne trompe guère : parmi les intervenants au panel, on trouve un certain Ali Rashid al-Nuami. De nationalité émirienne, ce dernier est le responsable d’une structure nommée Hedayah dont le but est « d’œuvrer contre les idées extrémistes » mais dont les financements proviennent également… du gouvernement d’Abou Dhabi.

Dans un contexte de tension avérée et de crispations qui mettent en péril la sécurité de la région du Golfe, la question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : comment des institutions européennes peuvent donner du crédit à un évènement portant sur le sujet crucial du financement du terrorisme alors que les organisateurs sont juges et partie ? Comment apporter un quelconque intérêt quand on sait l’activisme des réseaux proches des Emirats arabes unis dans les capitales occidentales, notamment Washington, Londres, Paris et Bruxelles ? Dans une récente enquête, le journal Le Monde faisait d’ailleurs état du dynamisme de ces lobbies, notamment via la personnalité sulfureuse du tentaculaire Mohamed Dahlan. D’après le quotidien du soir, ce dernier qui dispose d’une enveloppe financière considérable concédée par Mohamed ben Zayed, l’homme fort de la fédération émirienne, « arrose » une multitude de réseaux, agents et officines en Occident. L’événement à Bruxelles dont les propos risquent grandement d’être complaisants avec Abou Dhabi n’est-il pas à mettre sur le compte de cet activisme stipendié ? Gageons que la clairvoyance des fonctionnaires de la Commission leur permette de faire la part des choses.

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