Influencés ces dernières années par le parti d’extrême-droite, le Parti du peuple, membre du gouvernement, ainsi que par l’indignation suscitée suite à la publication des caricatures, l’opinion danoise a tissé des relations plutôt froides avec la communauté musulmane. Cette distance a suscité une sorte de méfiance de la part d’une partie de la classe politique qui s’est divisée sur le projet de la grande mosquée. Certains politiciens sont allés jusqu’à dire que ce lieu de culte financé par le Qatar « nuirait à l’intégration des musulmans au sein de la société danoise». D’autres ont tempéré en déclarant: « qu’il fallait s’engager dans un dialogue avec les musulmans sur des questions pour lesquelles ils n'étaient pas d'accord ». Cette polémique a fait qu’aucun responsable politique n’a honoré l'événement de sa présence. Mohamed al-Maimouni, porte-parole du Conseil islamique danois, souhaitant balayé les accusations d’ingérence de Doha a déclaré à l’AFP : « Nous ne sommes pas concernés par la politique du Qatar et n'avons rien à voir avec ce qui se passe là-bas » tout en ajoutant que le Conseil a « les pleins pouvoirs » au sein de cette mosquée. L’argent versé par le Qatar « un don généreux qui ne s'accompagne d'aucune exigence », a-t-il encore affirmé.
L’objectif affiché derrière la construction de la grande mosquée est double. Il y a d’abord la volonté d’aider la communauté musulmane locale à se doter d’un authentique lieu de culte et d’institutionnaliser la présence de l’islam via un édifice qui puisse s’inscrire dans le paysage religieux national. Ensuite, dans un pays traumatisé par l’affaire des caricatures, le but est d’apaiser les esprits et de tourner la page d’une histoire qui avait considérablement terni l’image du Danemark dans les opinons musulmanes. En ce sens, M. al-Maimouni a affirmé qu’avec « cette plateforme unique à l’échelle nationale, nous souhaitons prévenir et éviter les conflits comme celui des caricatures car elle aura pour objectif la promotion du dialogue, du respect de l’autre et de la connaissance ». Preuve de cette volonté de rapprochement, des représentants de l'Église du Danemark et de la communauté juive étaient présents à la cérémonie. Une délégation qatarie avait également fait le déplacement, représentée par le ministre des Affaires religieuses, Ghaith bin Mubarak Al Kuwari. Ce dernier a déclaré que « l’ouverture de cette mosquée marque une étape importante dans les relations entre le monde musulman et le Danemark et reflète la ferme volonté des deux parties à se connaître davantage. »
La mosquée forme un grand complexe doté d’un minaret et s’étale sur une superficie de 6 700 m² de superficie. L’édification du lieu qui comprend un espace culturel, un centre de conférences, une librairie et un centre de remise en forme, est un soulagement car il a dû affronter de nombreuses querelles politiques ainsi que les protestations des riverains. Pour ce projet, les responsables avaient au départ sollicité des donateurs du Koweït et d'Arabie Saoudite. Mais l'évocation du projet sur la chaîne Al Jazeera a attiré l'attention de l’émir qui n'a pas hésité à mettre la main à la poche.
Cette démarche philanthropique amène deux observations. D’abord, il faut savoir que le Qatar n’est pas le seul pays arabe à « investir » dans l’édification des lieux de culte musulmans en Europe. Bien davantage que Doha, les pays du Maghreb (notamment le Maroc et l’Algérie) ont fait du ciblage de leurs nombreux ressortissants établis en Europe leur priorité d’actions culturelles et religieuses. Ainsi, de l’aide à la construction de mosquées à l’envoi d’imams, ces deux pays sont de loin les plus impliqués auprès de la communauté musulmane d’Europe, ce qui n’est pas sans poser de réels problèmes d’ingérence, notamment à l’égard des enfants de ces ressortissants qui sont quasiment tous des citoyens européens. La focalisation médiatique sur l’implication du Qatar auprès de cette population tient donc davantage du registre du fantasme. Ces raccourcis sont d’après nous liés à la difficulté d’appréhender le type d’affiliation religieuse adopté par les autorités qataries. Trop souvent réduit au « wahhabisme », le champ religieux de l’émirat est mouvant et même si cette doctrine rigoriste de l’islam est présente chez une part non négligeable de la société qatarie, ce n’est pas du tout celle qui est mise en avant par les autorités.
En France, ce financement des mosquées a donné lieu à plusieurs reportages qui étaient surtout motivés par l’envie d’accuser le Qatar d’entrisme dans les banlieues. Loin de vouloir s’ingérer dans les affaires de la communauté musulmane de France, le Qatar a préféré comme pour le Danemark ciblé les grands projets à forte rentabilité médiatique. C’est ainsi qu’en 2011, Doha a contribué à hauteur de deux millions d’euros à la restauration de l’Institut culturel de la Grande mosquée de Paris. Ce geste avait été mené« à la demande des autorités françaises ». De même, il faut faire la part des choses entre les projets qui sont issus d’une volonté politique de venir en aide à des édifices symboliques de l’islam de France (comme la Grande mosquée de Paris) des initiatives privées qui peuvent parfois concourir au financement d’espaces culturels. Cela a notamment été le cas à Nantes où la partie dédiée aux activités littéraires ou éducatives a été pris en charge par un homme d’affaires qatari. Ce qui caractérise l’investissement de Doha (public ou privé) dans les lieux de culte en France est la transparence, car l’émirat sait qu’il marche sur des œufs sur un sujet qui revêt parfois une charge explosive. Loin des campagnes de presse qui n’ont jamais apporté la preuve d’un activisme du Qatar pour « islamiser les banlieues françaises », il est donc bon de remettre les pendules à l’heure dans un débat dont on espère qu’il sera dorénavant traité sous l’œil de la prudence et non de la surenchère.