Mais en plein Mondial au Brésil, la planète football se préoccupe aussi d’une autre Coupe du monde, celle de 2022 qui doit normalement avoir lieu au Qatar. Depuis son attribution, l’événement est au centre d’une polémique sans fin.
Après les controverses sur la condition des travailleurs asiatiques, la chaleur estivale, un éventuel changement de calendrier ou les accusations de corruption, c’est peu dire que l’organisation de ce futur tournoi suscite une levée de boucliers.
Rarement dans l’histoire du sport, le choix d’un pays n’a provoqué autant de crispations et ce, huit années avant le début effectif de la compétition.
Un engouement de courte durée
Le 2 décembre 2010, le comité exécutif de la FIFA attribue l’organisation du Mondial 2022 au Qatar. Fait unique dans son histoire, la FIFA concède la Coupe du monde à deux pays simultanément : l’émirat est désigné pour 2022 et la Russie l’emporte pour 2018.
Pour la première fois également, les frontières du ballon rond pénètrent le monde arabe. Le signal se veut fort et il a pour objet de démontrer que le foot est un sport à la popularité universelle.
L’engouement est de courte durée. Très vite, une nuée de critiques va s’abattre et de pays à la légitimité footballistique inexistante à un émirat accusé d’abuser de la "diplomatie du carnet de chèques", le Qatar est pris sous une avalanche d’accusations.
En janvier 2013, l’hebdomadaire sportif français "France Football" publie l’enquête "Qatargate" qui prétend apporter les preuves que le Mondial a littéralement été "acheté". Il y a quelques jours, c’est le "Sunday Times" qui titrait sur "le complot destiné à acheter le Mondial".
Le journal britannique assure avoir les éléments prouvant que le qatari Mohamed bin Hammam – ancien membre exécutif de la FIFA radié à vie de l’organisation en 2011 – s’était servi de fortes sommes d’argent pour soudoyer plusieurs hauts responsables afin de les convaincre de voter pour son pays.
Un soft power en déséquilibre
Pour le Qatar, cela commence à faire beaucoup. Basant en partie la construction d’une réputation mondiale par l’exercice d’une dynamique "diplomatie sportive", ces mauvaises couvertures de presse à répétition mettent à mal son ambition.
Etat faisant un exercice immodéré du soft power et de la diplomatie du rayonnement, l’émirat est aujourd’hui confronté à ce qu’il redoutait le plus : une opinion publique mondiale qui commence à douter de sa probité. Pour ne rien arranger, le président de la FIFA lui-même s’en est allé de sa petite phrase en déclarant que le choix du Qatar était finalement "une erreur".
Dans l’œil du cyclone alors qu’il reste encore huit ans avant le début de la compétition, le monde du football s’interroge : faut-il maintenir le Mondial au Qatar ou repartir sur une nouvelle procédure de vote ?
Avant d’y répondre, il faut d’abord relever certains angles morts du dossier. Deux éléments compromettent en effet le caractère désintéressé du procès en corruption adressé à l’endroit du Qatar :
1. La rivalité Blatter vs. Platini
L’évolution des prises de position de l’actuel président de la FIFA trahit une sourde lutte d’influence à la tête de l’institution qui régit le football mondial. Au départ enthousiaste face à une candidature qui présentait l’avantage de toucher de nouveaux territoires, le rétropédalage de Sepp Blatter est, d’après nous, non dénué d’arrière-pensées stratégiques.
Sentant le vent tourner face à un émirat à la réputation sulfureuse, le revirement de Blatter doit aussi être mis en perspective avec sa candidature à sa propre succession. L’un de ses challengers les plus en vue n’est autre que Michel Platini, lequel a avoué avoir voté pour le Qatar en 2010.
Noircir le dossier "Qatar" peut donc être une manœuvre de Blatter de jeter une patate chaude dans les mains de son principal concurrent qui fait, depuis, cet aveu, l’objet d’un procès d’intention. Au pouvoir depuis 1998 et désirant briguer un cinquième mandat, le Suisse se sait affaibli.
La candidature qatarie se voit donc indirectement prise en otage dans un règlement de compte entre deux rivaux.
2. Le fonctionnement de la FIFA mis en cause
L’autre interrogation repose sur la contradiction que met à nu cette affaire. Si corruption il y a eu, faudrait-il davantage blâmer le Qatar pour avoir tenté de fausser le résultat ou la FIFA qui a laissé se mettre en place un système quasi-mafieux ?
Dans son récent livre "Omerta, la FIFA de Blatter, une histoire de mafia", le journaliste écossais Andrew Jennings dénonce un fonctionnement opaque à base d’achats de vote, de tromperie et de trucages en tout genre.
Mark Pieth, professeur de droit de l’université de Bâle qui a réalisé un audit de la FIFA au sein d’une Commission indépendante (CIG), a même dressé un bilan catastrophique :
"À notre arrivée, en 2011, nous avons fait connaissance avec un univers dominé par les jeux de pouvoir, le patronage et les patriarches, installés depuis des décennies."
En ce sens, si la corruption était prouvée, ce ne serait plus le Mondial au Qatar qui vacillerait mais tout l’édifice de la FIFA. D’autant que si des dysfonctionnements étaient avérés pour le vote de la Coupe du monde 2022, quid du choix de la Russie en 2018 ? Le Qatargate suivi du Russiagate sonneraient alors comme le chant du cygne pour une FIFA qui ne se relèverait pas.
D’autant que certains seraient tentés de revenir en arrière pour lever le voile sur la désignation controversée de certains pays organisateurs, en commençant par celle du Mondial en Allemagne en 2006. Face à tant de grabuges, il n’est pas étonnant d’entendre certaines voix plaident pour une dissolution pure et simple de la FIFA…
Quels scénarios possibles ?
En attendant les conclusions définitives de Michael Garcia, président de la chambre d’investigation du Comité d’éthique de la FIFA qui vient de finir un rapport sur les attributions des Mondiaux 2018 et 2022, les alternatives qui se présentent pour sortir le Mondial 2022 du bourbier sont les suivantes.
1. Élargir l’organisation à d’autres pays
Une possibilité d’élargir l’espace d’organisation du tournoi. Cette option verrait par exemple le Mondial 2022 être co-organisé par d’autres pays arabes comme l’Egypte ou les Émirats arabes unis.
Déjà soumise par quelques personnalités, cette idée permettrait de réduire la pression sur le Qatar et de "faire porter" cet événement par d’autres nations du monde arabe. Ce ne serait plus le Mondial du Qatar mais celui du monde arabe, ce qui accentuerait la portée symbolique d’un tel événement.
2. Retirer le Mondial au Qatar
Ce serait certainement le choix le plus désastreux. D’abord parce que cette alternative ne pourrait se justifier que lorsque les accusations de corruption seront définitivement corroborées, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas.
Le rapport final Garcia est à ce titre capital car il permettra de sérier les responsabilités de chacun. De même, il faut aussi s’interroger sur les raisons qui poussent certains acteurs à soutenir une telle option.
L’Australie, candidate malheureuse pour l’organisation en 2022, pousse dans cette direction. Il est en effet de bonne guerre de voir les perdants d’hier reprendre du poil de la bête en mettant à profit la polémique d’aujourd’hui pour arriver à un nouveau vote.
3. Maintenir le Mondial au Qatar
De notre point de vue, c’est la décision qui, à l’heure actuelle, serait la moins mauvaise. D’abord parce que le Qatar est innocent jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable. De plus, le Mondial 2022 et l’extrême focalisation qu’il suscite ont induit un certain nombre de changements positifs au sein de l’émirat.
En ce sens, il faut rappeler la décision historique des autorités de bannir définitivement le système de la Kafala afin d’améliorer la condition des ouvriers étrangers. Cette réforme est, à n’en point douter, une conséquence directe de l’attention médiatique qui peut ainsi être utilisée comme un levier d’amélioration des droits de l’homme.
Enfin, cette option présente aussi l’avantage d’inscrire le monde arabe dans le circuit de la mondialisation alors qu’un retrait aurait des conséquences symboliques désastreuses et ne ferait que renforcer les tenants du choc des civilisations.