La charge symbolique d’une telle rencontre est réelle et la date n’a vraisemblablement pas été choisie au hasard. Le 23 juin 2013, la visite de François Hollande à Doha n’avait pas particulièrement suscité d’enthousiasme. Sobre et sans annonce de contrat, ce déplacement du président français survenu quarante-huit heures avant la passation de pouvoir dans l'émirat avait même sévèrement été jugé. Un an plus tard, le voyage de son homologue s’annonce sous de meilleurs auspices. Les grands dossiers brûlants du Moyen-Orient vont être l’occasion de consolider les convergences diplomatiques et la présence de nombreux chefs d’entreprise au dîner de l’Elysée est la marque d’une volonté française de se positionner sur les grands contrats en vue du Mondial 2022. Mais c’est surtout dans le domaine de la coopération militaire que le nouvel axe Paris-Doha va redessiner une partie de l’équation stratégique de la région du Golfe.
Les industriels français retiennent leur souffle. De nombreux indices laissent penser que la visite permettra la signature d’un accord pour l’achat d’une première tranche de 36 Rafales. L’avion de combat français n’a en effet jamais été vendu à l’étranger. L’annonce d’une entrée pour des négociations exclusives permettrait à Dassault et à l’ensemble de la chaîne de production de bénéficier d’un bol d’air frais dans un contexte général de réduction des moyens militaires due à la nouvelle loi de programmation militaire (LPM).
Des deux côtés, cet accord nouera le début d’un nouveau partenariat stratégique d’ampleur. Pour les Français, ce serait la première grande victoire en vue de l’exportation d’un appareil dont tout le monde s’accorde à reconnaitre son hyper-fiabilité mais dont le prix a toujours constitué un obstacle prohibitif. Du côté qatari, cet achat aura pour ambition d’une part de remplacer l’ancienne et très maigre flotte de son armée de l’air qui ne compte qu’une douzaine d’appareils. D’autre part, il exprimera la volonté des dirigeants d’exister militairement et de se doter d’une capacité militaire dissuasive dans une région du monde extrêmement volatile. Enfin, même si les Etats-Unis demeurent le gendarme de la région qui veille à la sécurité des frontières de bon nombre de monarchies, la mise en place d’un cordon défensif avec la France présente l’avantage d’éviter l’écueil d’une hyper-dépendance à Washington.
Le contexte régional tendu est l’un des arrière-plans géopolitique de cette visite. L’an I du règne de l’émir Tamim a surtout été caractérisé par un retrait du Qatar de la scène politique régionale. Même relatif, ce pas en arrière démontre la vulnérabilité d’un pays qui ne peut plus uniquement compter sur les instruments de son Soft power pour assurer sa projection sur le terrain régional. Chef de file du monde arabe à l’époque de Cheikh Hamad qui a su capitaliser sur l’audience d’Al Jazeera, la notoriété de l’attribution du Mondial et les révoltes arabes pour rendre son pays incontournable, Doha vit dans une situation plus délicate à l’heure de Cheikh Tamim. Le retour en force de l’Arabie saoudite en Syrie puis le basculement de l’Egypte ont durablement réduit l’influence du pays. En plus de ces échecs diplomatiques, le Qatar a du affronter en mars l’une des plus graves crises avec ses voisins. Le retrait simultané des trois ambassadeurs de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et du Bahreïn a montré combien Doha était isolée au sein du club des monarchies du Golfe. Si on ajoute à cette athmosphère qui prend parfois les allures d'un encerclement diplomatique la descente aux enfers que connait l’Irak et les relations toujours froides avec le grand voisin iranien du fait du clivage syrien, le Qatar se voit contraint de vivre dans la défensive. Se doter d’un arsenal militaire qui soit à la mesure de ces menaces est donc devenu pour Doha une priorité stratégique de premier plan.
Si cette visite va certainement rehausser le niveau des relations bilatérales, il n’est pas sur qu’elle puisse redorer le blason de l’image du Qatar en France. Dans l’œil du cyclone depuis quelques années, l’émirat est à l’origine d’une inflation éditoriale comme rarement un Etat étranger en avait connue. Malgré le rachat du PSG et l’incroyable remise à niveau du club – littéralement laissé à l’abandon par les propriétaires précédents - le pays n’a pas encore réussi à se défaire d’une image sulfureuse de pétromonarchie opulente et agressive. Dans un contexte de suspicion généralisée notamment suite aux différents scandales autour de l’attribution du Mondial 2022, il aurait été salutaire pour les dirigeants qataris de profiter de cette visite pour faire preuve de communication afin de répondre aux différentes interrogations que la trajectoire exceptionnelle du pays a immanquablement suscité dans l’opinion.